Les frappes en Syrie rallument le conflit au sein du Labour

La tension est montée le week-end des 28 et 29 novembre au sein du Labour Party. David Cameron envisage de faire voter la Chambre des Communes pour autoriser l’armée à frapper l’Etat islamique en Syrie mais suspend ce vote à l’existence d’une « large majorité », ce qui implique que des membres du parlement travaillistes soutiennent sa proposition. C’est sur ce point que les tensions préexistantes se cristallisent au sein du Labour party. En toile de fond, c’est la conception même du principal parti de gauche britannique qui est en jeu.

La conférence d’automne du Labour a accouché d’un compromis dont chaque terme est savamment posé. La motion, largement adoptée, prévoit que les frappes aériennes en Syrie puissent être votées à quatre conditions parmi lesquelles leur validation par l’Organisation des Nations-Unies, un effort en faveur de réfugiés syriens et un effort diplomatique pour sortir de la crise irako-syrienne. Le précédent de la guerre en Irak en 2003, qui avait durablement coupé les travaillistes d’une partie du mouvement social britannique, a pesé lourdement sur les débats. L’ombre tenace du mandat Tony Blair et les freins que rencontrent la commission Chilcott, chargée d’enquêter sur les conditions de l’entrée en guerre à l’époque, ont amené les militants du parti à souhaiter un encadrement de toute intervention militaire. Une position qui contrevient à la volonté belliciste d’un David Cameron qui espère, avec ces frappes, endosser le costume de chef militaire qui a si bien réussi à Margaret Thatcher.

Shadow foreign secretary, Hilary Benn est favorable aux frappes

Shadow foreign secretary, Hilary Benn est favorable aux frappes

C’est dans ce contexte que le shadow cabinet et le Parliamentary Labour Party ont été frappés par les attentats commis à Paris le 13 novembre dernier. Profitant de l’émotion légitime, le Premier ministre a relancé son projet de frappes aériennes hors mandat de l’ONU et, pour le légitimer, a orchestré une campagne visant à faire basculer les barons travaillistes en faveur de l’intervention militaire. Un discours qui sonne agréablement à l’oreille des blarisites mais aussi à un certain nombre de membres du shadow cabinet, dont le deputy leader ou le shadow foreign secretary… Jeremy Corbyn, de son côté, n’a jamais fait mystère de son opposition aux bombardements.

107,800 adhérents ont répondu

Il en a réitéré les raisons lors d’une émission de télévision dominicale de grande écoute, le rendez-vous d’Andrew Marr. Il a ainsi réaffirmé : « Les frappes en Syrie ne régleront rien ». Il a évoqué le risque de dommages collatéraux parmi les populations civiles et l’absence de relais militaires fiables sur le terrain. Questionné sur la position finale du Labour, il a tranché : « C’est au leader de décider », après avoir pris soin de rappeler l’ampleur de la majorité dont il dispose après le vote des adhérents en septembre dernier. Quelques heures plus tôt, il s’est adressé directement à ces derniers en leur faisant parvenir un questionnaire sur le sujet. Son équipe évoque 107,800 retours (soit plus d’un adhérents sur six, tout de même), dont une majorité franche se disent opposés aux frappes. Des MPs tels Clive Lewis, vétéran de la guerre en Afghanistan, ont aussi interpellé leurs électeurs dans une démarche similaire.

David Cameron veut envoyer la Royal Air Force frapper Daesh

David Cameron veut envoyer la Royal Air Force frapper Daesh

Cette sollicitation de la base travailliste a été vécue comme un acte hostile par un Parliamentary Labour Party, dominé par la droite du parti. Un sentiment alimenté par la mobilisation des activistes du Labour mais aussi de Momentum, le groupe formé par les proches de Corbyn dans la dynamique de sa compagne. Ce week-end, ils ont multiplié les interventions en direction de leurs MPs respectifs, de manière bien moins diplomatique que précédemment. Les activistes ont ainsi enjoint leurs parlementaires « pro frappes » à respecter le leader du parti et sa position sur la question syrienne. Faute de quoi, ils envisagent ouvertement la désélection, ce processus qui permet de ne pas représenter un membre du parlement élu.

Si la guerre n’est pas déclarée entre la Grande-Bretagne et l’Etat islamique, elle pourrait donc l’être au sein du Labour. En effet, la tradition veut que les positions politiques des travaillistes soient élaborées par un compromis entre le PLP et le leader du parti. Or, Corbyn avance sur sa propre position qui est de rendre la décision aux adhérents, un axe fort de sa campagne sur lequel il n’entend visiblement pas revenir. Au demeurant, il dispose du mandat et de la légitimité pour le faire.

Le leader du parti travailliste affronte ses propres parlementaires

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Le chef de l’opposition a, sur ce sujet, enregistré un soutien de poids. Dimanche 29 décembre, Len McCluskey, le puissant patron du syndicat le plus important du pays, Unite, est sorti de sa réserve. Dans une tribune publiée sur le Huffington post, il a rappelé que le vote de 2003 sur l’invasion en Irak « continue d’hanter le Labour qui a perdu des millions d’électeurs et dont la moitié des adhérents ont démissionné » suite à cette décision. Mais il a aussi mis les pieds dans le plat de la politique interne en tranchant : « La question syrienne est utilisée comme prétexte pour fomenter un coup d’état contre Jeremy Corbyn, le leader élu – à une très large majorité – du parti ».

John McDonnell en pacificateur

« Red Len » a annoncé, d’ores et déjà, que les membres de Unite seront les premiers à s’opposer à une telle manœuvre, fomentée par des personnes qui considèrent que « rester fidèles à ses principes et à son mandat, c’est se montrer dictatorial ». Et, pour bien se faire comprendre, il s’est adressé à la « clique enfermée dans la bulle de Westminster » à « montrer plus de respect envers le leader du parti et ceux qui l’ont élu » ou à se préparer à rédiger « leur nécrologie politique ».

Dans ce cadre de tension croissante, il est revenu à John McDonnell de jouer les pacificateurs. Il a estimé que, « dépassant les clivages partisans », le vote sur une intervention en Syrie devrait être libre. A l’heure où ces lignes sont rédigées, Jeremy Corbyn semble favorable à cette issue, tout en affirmant que chaque MP sera comptable de son vote – rendu systématiquement public depuis septembre – devant les militants… Cette perspective devrait encore refroidir les plus timorés des « bellicistes » travaillistes. La grogne, par ailleurs, a perdu de son poids depuis que Hilary Benn, shadow foreign secretary, en première ligne sur le dossier, a annoncé que, quel que soit la décision du leader, il ne démissionnera pas. Corbyn rendra sa décision ce lundi 30 novembre lors d’une réunion du PLP annoncée sous haute tension.

Nathanaël Uhl

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