Plus divisés que jamais, les conservateurs accordent un sursis à une Theresa May sous tutelle
Les optimistes diront qu’elle a gagné du temps. Les autres reconnaîtront que Theresa May est, plus que jamais, une morte en sursis. A l’issue de sa rencontre avec le 1922-Committee, lundi 12 juin en fin de journée, la Première ministre dispose encore du soutien des parlementaires conservateurs. Mais son Queen’s speech, son discours de politique générale qui doit être assorti d’un vote de confiance, est repoussé. De même que l’ouverture des négociations avec l’Union européenne.
Devant les membres du puissant 1922-Committee, soit l’intergroupe conservateur qui rassemble à la fois les pairs et les membres du parlement, Theresa May a fait acte de contrition. Elle a présenté ses excuses à plusieurs reprises et a endossé toute la responsabilité de la défaite lors des élections générales du 8 juin.
« Je suis militante conservatrice depuis l’âge de 12 ans, a rappelé la première ministre. Je vous ai mis dans le pétrin, je vais vous en sortir. »
Plusieurs éléments ont joué en faveur de Theresa May. Elle a d’abord mis beaucoup d’eau dans son vin, son équipe ayant bien préparé la rencontre avec le président du groupe, le puissant faiseur de roi Graham Brady. Boris Johnson ne semble pas pressé, outre mesure, de la pousser hors du 10 Downing Street. Le souvenir de sa candidature avortée au leadership, il y a moins d’un an, l’amène plutôt à sécuriser sa base parlementaire dans l’immédiat. Les conservateurs apparaissent aussi plus divisés que jamais que ce soit en termes de leadership mais aussi d’orientation.
Mais, surtout, personne ne veut prendre le risque d’une nouvelle élection. Encore moins quand les premiers sondages donnent une avance tant au Labour qu’à son leader, Jeremy Corbyn. L’un des deux instituts qui avaient annoncé le parlement suspendu, Survation, place les travaillistes à 45% des intentions de vote, soit six points de mieux que les tories. Cela peut rafraîchir les idées de tout membre conservateur du parlement.
Cela posé, la leader conservatrice a procédé à quelques concessions de taille. Elle a ainsi évoqué une inflexion de sa ligne politique, sur au moins deux points clé. En premier lieu, l’austérité ne serait plus l’alpha et l’omega de la politique des tories. Theresa May s’est vu reprocher ses revirements sur les questions économiques, notamment sur la fameuse « dementia tax », un changement du mode de calcul du patrimoine ouvrant droit aux prestations sociales pour les personnes âgées. D’abord intégrée au Tory Manifesto, cette mesure particulièrement impopulaire en a été retiré en catastrophe. Cette nouvelle bourde a donc ouvert la voie à une réorientation de la politique des conservateurs. Dont il reste à définir les contours.
L’autre point, c’est l’abandon de la ligne dure sur le Brexit. Les échos évoquent une évolution sur ce dossier qui pourrait permettre un rapprochement avec les positions du parti travailliste. Ce changement de ton est aussi à mettre en lien avec les négociations qui ont toujours lieu avec le Democratic Unionist Party, lequel demande un statut particulier pour l’Irlande du nord dans ce dossier. Tout un symbole, c’est au revenant Michael Gove, qui a pris le portefeuille de l’environnement, qu’est revenu le devoir d’annoncé le nouveau cap.
L’ancien adepte du Brexit hardcore a ainsi glissé qu’il conviendra d’avancer vers la sortie de l’Union « dans le plus grand consensus possible »
Signe que la réorientation est bien à l’ordre du jour, deux des quatre ministres (équivalent des secrétaires d’Etat en France) que comptait le Département du Brexit ont quitté le gouvernement en début de soirée lundi.
Il faut aussi relever que, ce mardi 13 juin, deux autres membres du gouvernement : Robert Halfon, ministre aux talents (sous l’autorité du secrétaire d’Etat à l’Economie et à l’industrie), et l’un des ministres de la Défense, Mike Penning, ont annoncé leur départ. On ne sait pas encore s’ils ont quitté volontairement le cabinet ou s’ils ont été limogés. Mais ces départs sont significatifs. Les deux élus incarnaient le « blue collar conservatism », le conservatisme des cols bleus, dont Theresa May se voulait la championne.
Par ailleurs, deux partisans du maintien font leur entrée au cabinet, dans des postes de second ordre certes : Mark Field et Alistair Burt.
La rencontre avec le 1922-Committee ne semble donc pas avoir tout réglé pour Theresa May. Les discussions avec le DUP n’ont pas abouti ce mardi sur un accord. La délégation nord-irlandaise menée par Arlene Foster a quitté le 10 Downing Street par une porte dérobée afin d’éviter la presse. A présent, le cabinet doit aussi trouver un compromis qui permette de présenter le Queen’s speech. Initialement prévu lundi 19 juin, il a déjà été reporté.
Et si cela ne suffisait pas, un dernier caillou s’est glissé dans les souliers de Theresa May. John Bercow a retrouvé sa place de Speaker (président) à la Chambre des communes. Célèbre pour son franc parler, Bercow s’est illustré récemment en refusant au président des Etats-Unis la possibilité de s’exprimer devant les Communes, notamment en raison de son décret anti immigrés. Pourtant, la première ministre avait clairement fait connaître son souhait que Donald Trump soit correctement traité. Visiblement, l’indépendance du speaker vis à vis du gouvernement lui aura valu l’unanimité, dont l’impact est à modérer vu que personne ne s’est présenté contre lui.
Respectant un cérémonial datant du 17e siècle, après s’être exprimé depuis le backbench, le speaker est amené à sa place dans la chambre par ses collègues membres du parlement. Il sera officiellement approuvé par la Reine mercredi 14 juin et les membres de la Chambre des Communes prêteront serment à la souveraine jeudi.