Andy Burnham, le nordiste devenu apparatchik
PORTRAIT. Si les quatre candidats au labour leadership sont les 4 fantastiques, Andy Burnham serait assurément l’homme élastique. Le désormais ex favori des bookmakers et ex candidat des syndicats, deux rôles dans lesquels il a été remplacé par Jeremy Corbyn, est parti en pole position pour succéder à Ed Miliband, démissionnaire. Un rôle qui semblait, après une première tentative ratée en 2010 face à Ed justement, taillé pour lui. Il se fixait alors l’ambition de « reconnecter émotionnellement » le Labour avec l’électorat qui l’a fui. Mais le côté trop plastique de son discours, sauf sur le National Health Service (NHS) et son amour immodéré pour le football et son club d’Everton, semble lui avoir joué un sale tour. « Il a été l’homme de Blair, puis il a été l’homme de Len (McCluskey, secrétaire général de Unite), maintenant il essaie d’être centriste, résume un Membre du parlement. C’est dur de savoir ce pourquoi il se bat. »
Origines ouvrières
Né en 1970 à Liverpool, Andy Burnham a beau cultiver son accent du nord et clamer, dans The Guardian, qu’il ne fait pas partie du cirque de Westminster, il est un pur produit de l’appareil travailliste. Adhérent du Labour depuis l’âge de 14 ans, il devient, après des études de littérature à Cambridge, conseiller pour Tessa Jowell, alors shadow secretary pour le bureau du cabinet (le cabinet office est le service de soutien au Premier ministre et de coordination du gouvernement, un rôle politique essentiel dans le système de Westminster). Il occupe ce poste pendant trois ans, de 1994 à 1997, avant d’aller, brièvement, travailler pour le NHS où il a en charge la football task force.
Il renoue avec les affaires proprement politiques en 1998 en devenant conseiller spécial du ministre de la Culture et des Médias, Chris Smith. Il quitte cette fonction en 2001 après s’être fait élire Membre du parlement pour Leigh, une circonscription du grand Manchester acquise au Labour. Le Nord de l’Angleterre est, avec la revendication de ses origines ouvrières (un père technicien en téléphonie et une mère réceptionniste), la pierre angulaire du profil qu’il entend présenter. Cela, non plus, n’a jamais changé. Tout supporter d’Everton qu’il soit, il défend toujours avec acharnement l’ouverture d’une enquête judiciaire sur la catastrophe de Hillsborough, qui a vu la mort de 96 supporters de Liverpool. Il porte toujours, sous les manches de son costume, un bracelet commémoratif.
Schizophrénie politique
En apparence, il fait preuve de la même opiniâtreté dans la défense du NHS face aux coupes budgétaires et aux privatisations mises en œuvre par le gouvernement conservateur. Depuis le leadership d’Ed Miliband, il occupe la fonction prestigieuse de shadow secretary à la santé, ce qui lui a permis de se faire voir à la Chambre des Communes, à l’occasion d’attaques particulièrement senties à l’endroit de l’équipe Cameron. Or, un seul hôpital du NHS, Hinchingbrooke, a vu sa gestion transférée à un opérateur privé, qui l’a alors dirigé pour dégager des profits. Le processus qui a mené à cet accord a commencé en juillet 2009. Et le secrétaire à la santé, à l’époque, est… un dénommé Andy Burnham, dans le gouvernement dirigé par le travailliste Gordon Brown. Ce catholique (en Grande-Bretagne, c’est important) n’a jamais essayé de se défendre sur ce point, comme s’il comptait sur la mémoire volatile du public pour passer à travers les gouttes.
Plus récemment, sa volonté de parler à tout un chacun l’a amené à frôler la schizophrénie politique. Fort du soutien de Len McCluskey, le puissant patron de Unite (« Andy est l’homme politique le plus impressionnant que je connaisse », a déclaré Red Len avant d’adouber Jeremy Corbyn), Burnham déclare publiquement que les entrepreneurs sont « (nos) héros autant que les infirmières ». Mais son premier vrai faux pas a été son premier discours après sa déclaration de candidature en mai dernier. D’abord, il a choisi de s’exprimer devant un auditoire select de salariés du leader européen en audit financier Ernst and Young. C’est devant ce public singulier qu’il a déclaré que le gouvernement Brown n’aurait pas dû « laisser filer le déficit public ». Ce, alors que même les blairistes les plus convaincus réfutent ce point de vue. Burnham s’est, depuis, rétracté…
« Party comes first, always »
Plus récemment, lorsque Harriet Harman, leader par intérim, annonce que le Labour s’abstiendra sur les coupes budgétaires conservatrices en matière d’action sociale et de politique familiale, Andy fait connaître son désaccord. Mais finit par s’abstenir tout en précisant que, s’il avait été leader, il aurait voté contre… Il explique cette position par le refus de créer une crise au sein du Labour, dont il est un des frontbenchers. Ce faisant, il s’est retrouvé victime de son credo, martelé débat après débat : « party comes first always (le parti en premier, toujours) ».
Cet attachement viscéral au parti, auquel, il est vrai, il doit tout, en fait aussi le moins vindicatif des adversaires du candidat de gauche au leadership Jeremy Corbyn. Même s’il explique être « le seul qui puisse battre Corbyn », il a d’ores et déjà annoncé qu’il travaillerait volontiers avec le vétéran socialiste si ce dernier venait à gagner. Plus encore, alors que les blairistes ont lancé leur dernière offensive « tout sauf Corbyn », le MP pour Leigh a estimé que ces attaques correspondent à une « mauvaise lecture » de ce qui se passe au sein du Labour. Il a également repris à son compte la proposition de la gauche travailliste de renationaliser le rail britannique et la remise en cause de la présence des missiles trident sur le territoire…
« Attaquant diva »
Mister nice guy – tout le monde reconnaît à Burnham qu’il est éminemment sympathique, humainement – a, il faut aussi lui rendre cela, l’unité du parti travailliste au cœur. Le parti le lui rend bien : il est celui qui a obtenu le plus de parrainages de Membres du parlement et il arrive en deuxième position, derrière Corbyn, pour les nominations par les constituency labour parties, les organisations de base du parti travailliste. Enfin, s’il a été soupçonné de sexisme (accusation qu’il rejette vivement), sa campagne est, après celle de son rival masculin, la plus correcte qui soit.
C’est aussi une campagne qui donne le ton de celle que mènerait celui qui se qualifie lui-même d’ « attaquant diva… capable de ne rien faire sur le terrain jusqu’à la 89e minute et là… ». Bien plus que ses idées, c’est lui-même qu’il a mis en scène. Après un clip vidéo où il met en scène sa famille de trois enfants (« je suis un bon père »), il fait recevoir le journaliste du Guardian chargé de rédiger son portrait par ses parents (« je suis un bon fils »). Assurément, chacun sait qu’il doit être très agréable de boire une pinte de bière au pub avec Andy. Mais, même s’il sacrifie volontiers aux rites imposés par la presse britannique, cela suffira-t-il à rendre son attractivité au Labour ? Cela reste à prouver. Son principal atout est aussi son talon d’Achille : il est considéré comme le « Miliband de Liverpool ».
Nathanaël Uhl
A suivre : lundi prochain, le portrait d’Yvette Cooper.
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Bonus vidéo : The Courteeners – Take Over The World