Labour, la défaite vient de loin

C’était l’élection que le Labour ne pouvait pas perdre, ce sera sûrement celle qu’il ne devait pas perdre. Et pourtant… Comme nous l’écrivions dans l’article sur les élections générales, la stupéfaction de l’état-major du Labour Party était immense à l’annonce des estimations le soir du 7 mai 2015. A tel point qu’elles furent rejetées en bloc jusque tard dans la nuit.

Le meilleur avenir c'est pour Cameron

Pourtant, les sondages commandés par la direction du Labour indiquaient – depuis plusieurs mois – que les Tories étaient partis pour se maintenir au pouvoir. Au-delà du déni de l’éventualité d’une défaite, les raisons qui ont conduit le Labour à un échec si retentissant son nombreuses.

Dès le lendemain, les fidèles de Tony Blair n’ont pas tardé à s’exprimer pour déplorer un positionnement trop à gauche du parti, comparant la campagne menée par Ed Milliband à celle menée par le leader du parti travailliste en 1983, Michael Foot. Une campagne jugée gauchiste à l’époque et qui avait vu Margaret Thatcher l’emporter nettement. Le raccourci est un peu facile, compte tenu du contexte de l’époque : guerre des Malouines, scission d’élus travaillistes vers ce qui deviendrait plus tard le parti des Libs Dems…

En réalité, le parti conduit par Ed Milliband s’est montré pour le moins hésitant sur son positionnement, craignant de ne pas être considéré comme crédible sur l’économie tout en défendant des mesures progressistes. Parmi les hésitations les plus visibles, il faut rappeler la question de la « Bedroom tax » (qui diminue le montant des allocations logement si le locataire dispose d’une chambre inoccupée) : le Labour a mis six longs mois avant de décider qu’elle était néfaste pour les britanniques.

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vous reprendrez bien un tasse de thé ?

Difficile de qualifier la campagne de trop à gauche comme le souligne l’élue travailliste de Londres Diane Abbott, qui bénéficie de la sympathie de l’aile gauche du parti, quand le Labour a mené campagne en faveur du durcissement des contrôles de l’immigration, véritable caisse de résonance des campagnes de l’extrême droite UKIP. La première élue noire à la Chambre des communes avait averti dès 2014 : « Les gens n’ont pas rejoint le Labour pour voir leur dirigeant sonner comme une version light de Nigel Farage (dirigeant de UKIP – NDLR) »

Par ailleurs, en matière sociale, il a parfois été difficile pour Ed Milliband, chef du Labour depuis 2010 et désormais démissionnaire, de défendre l’abolition du contrat « Zero hour » (contrat qui permet à l’employeur de ne pas faire mention de durée de travail ou d’amplitude horaire). En effet, les syndicats ont dénoncé publiquement le fait que des représentants du Labour au parlement embauchaient des assistants avec ce type de contrat précaire. Sur les privatisations, le Labour s’est montré pour le moins timoré, laissant les syndicats – notamment les postiers lors de la privatisation de Royal Mail – seuls face à la coalition Lib Dems – Tories.

On pourrait aussi retenir que les médias ont majoritairement fait campagne contre le Labour et, en particulier, Ed Milliband.

La rose du labour est fanée

Mais revenons sur l’accusation de Blair et ses partisans. Ces derniers omettent quelques faits pour le moins délicats. Le bilan de 13 années de Blair au pouvoir n’est pas glorieux. Guerre en Irak et dépenses militaires en hausse ; coupes budgétaires dans les services publics au profit du secteur privé et poursuite des privatisations (dans les transports et le nucléaire, notamment) ;gel des salaires et des aides sociales ; système éducatif à deux vitesses… l’essentiel des richesses créées durant cette période a essentiellement bénéficié aux classes les plus aisées. L’instauration du salaire minimum constitue une maigre consolation, alors que les inégalités se sont accentuées.

La mécanique électorale s’est littéralement grippée. Sur les 5 millions d’électeurs perdus lors des élections de 2010, seuls 700.000 sont revenus. Une grande partie, en particulier dans les anciens bastions industriels du nord, ont choisi l’abstention. D’autres se sont tournés vers le Green Party et, plus rarement, vers la gauche de la gauche. Enfin, une forte minorité (entre 7 à 11 % des électeurs, selon les études) a choisi de voter UKIP. Pourtant, la direction du Labour avait minoré la montée en puissance de ce nouveau parti, persuadé qu’il siphonnerait le vote conservateur.

Reste l’Ecosse où une dynamique bien plus brutale a opéré. La direction locale du Labour a manifestement négligée l’orientation adoptée par le Scottish National Party. De même, les départs de nombreux militants du Labour vers les nationalistes n’ont pas été pris en compte par Jim Murphy, dirigeant du Labour local fraîchement désigné en décembre en remplacement de Johann Lamont. Cette dernière a claqué la porte en octobre 2014, accusant la direction londonienne du Labour de traiter le Scottish Labour comme une vague filiale.

Le référendum en Ecosse, symbole d'un Labour largué

Les directions britannique et écossaise du Labour ont fait leur le credo blairiste, considérant le SNP uniquement comme un parti nationaliste agressif, incapable de mordre sur l’électorat de gauche. Cécité politique caractérisée. Le SNP a fait campagne sur une ligne anti austéritaire englobant les années Blair et le bilan de Cameron. Il s’est appuyé sur sa campagne lors du référendum de 2014 contre la bande de Westminster (Labour et Tories faisant campagne ensemble pour l’union « Better Together« ). Résultat : le SNP est passé en 5 ans de 19 à 50 %, balayant 40 des 41 MPs travaillistes élus en Ecosse en 2010.

Ce serait une grave erreur pour la Labour de ne pas s’interroger sur les tendances qui se dessinent et de se contenter d’engranger des adhésions après la défaite. Certes, 29.000 adhésions n’ont rien de négligeable, qui permettent au Labour de s’approcher des 230.000 membres. Il serait dommageable pour les principaux candidats à la succession de Milliband d’omettre que les syndicats ont donné consigne à leurs adhérents de rejoindre massivement le parti pour peser sur le choix du nouveau leader. En effet, c’est assez rare pour être noté, le Labour a été créé par les syndicats britanniques et ils pesaient, jusqu’alors, statutairement dans un parti qu’ils continuent majoritairement, malgré des crises, à financer. Mais, alors que « la course des petits chevaux », dixit George Galloway de Respect, pour désigner la nouvelle tête du parti, est lancée, c’est l’orientation qui sera déterminante pour un parti devenu inaudible.

Laissons la conclusion au redoutable Mark Steel (auteur d’un stand up sur la Révolution française) : « Aucun des prétendants au leadership ne semble avoir saisi l’ampleur du problème qu’affronte le Labour. Ce n’est pas qu’il ait été trop à gauche ou pas assez à gauche. La plupart des gens n’ont pas fait attention à ce que disaient les travaillistes tant ce parti est éloigné de leur vie. Le Labour aurait pu promettre que Rihanna viendrait chez eux faire la vaisselle que la plupart des Britanniques auraient dit « oui et alors? ». »

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Bonus vidéo : Iron Reagan « Miserable Failure »

 

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