Le SNP, roi du pétrole, loin du grand soir
Depuis le référendum sur l’indépendance écossaise, le Scottish National Party (SNP) attire tous les regards. Et son raz-de-marée aux dernières élections générales a fini de faire émerger sur la scène internationale ce vieux parti, autrefois classé au centre droit, positionnement relativement proche du Parti nationaliste basque. Les progressistes, singulièrement, se prennent d’affection pour le SNP et sa charismatique leader Nicola Sturgeon. Ses deux parlementaires européens siègent d’ailleurs au sein du groupe Verts/Alliance libre européenne. Mais qu’en est-il réellement ?
D’abord, quelques faits. Plus de 115.000 adhérents, 64 députés à la chambre en Ecosse, 56 élus sur 59 au Parlement britannique, 400 élus locaux, 2 % de la population membres du parti. Des chiffres qui laissent rêveur.
Pour autant, la comparaison avec d’autres courants politiques est à user avec prudence. Le SNP n’est pas plus Syriza que Podemos. Son orientation est revendiquée comme plutôt sociale démocrate, ce qui peut être considéré comme un progrès relatif de la part d’une structure qui évoluait plus au centre il y a quelques décennies.
Ce positionnement nouveau, de centre-gauche, est le fruit d’une lente évolution, amorcée depuis que le SNP s’est prononcé par le passé contre la « poll tax », célèbre réforme de Margaret Thatcher qui provoqua la chute de la « dame de fer ». Parmi les revendications du SNP, on retrouve le mariage gay, le droit de vote dès l’âge de 16 ans, l’éradication des armes nucléaires, notamment les missiles Trident basés en Ecosse, ainsi que le refus de construire toute centrale nucléaire au profit des énergies renouvelables. Dans son programme figure enfin la volonté d’établir un impôt progressif et de construire des logements sociaux.
Ces éléments authentiquement progressistes masquent mal des contradictions profondes, à l’instar d’un Alex Salmond (prédécesseur de Nicola Sturgeon) qui assurait que l’indépendance de l’Ecosse serait garantie par les ressources pétrolières. L’ancien premier ministre écossais a également longtemps défendu une taxe plus faible que la moyenne en faveur des entreprises. Une décision, jamais remise en cause, que rappelle le Herald Scotland, dans un article intitulé « Qu’y a-t-il donc de gauche au SNP » : « Il n’y a rien d’orienté à gauche ou de progressiste dans la politique fiscale du SNP. Ils ont décidé une réduction de 3 % de l’impôt sur les sociétés. Si les rentrées fiscales sont réduites, il y aura donc moins d’argent pour financer les services publics vitaux pour le bien être des travailleurs partout où ils sont.«
Le magazine de gauche NewStatesman se montre encore plus cruel dans un article titré « Si vous croyez que le SNP est une force de gauche, réfléchissez encore » : « Quand il a été demandé à Nicola Sturgeon, lors du lancement de son manifeste, de citer une politique de redistribution mise en oeuvre par le SNP, elle a été incapable de citer un seul exemple. Il existe beaucoup de mesures favorables aux classes moyennes mais aucune en capacité de réduire les inégalités ou la pauvreté. »
A ce stade, une question se pose. Et si le SNP instrumentalisait les idées de gauche pour favoriser sa marche vers l’indépendance ? Derrière la légère provocation, il n’en demeure pas moins qu’on peut s’interroger sur la stratégie de ce parti au regard de la politique qu’il mène à la tête de l’Ecosse. Approfondissons donc.
Et penchons-nous sur ScotRail par exemple, les chemins de fer écossais. Majoritaire au parlement écossais, le SNP aurait pu conserver dans le secteur public l’entreprise de transport. La voici dans les mains d’un opérateur privé. Côté syndicats, cette décision a été vécue comme une trahison. Il est vrai que le SNP militait, publiquement, pour renationaliser Scotrail… Autre mesure controversée, un accord anti-grève négocié par des ministres avec l’Association écossaise des officiers de prison, accord qui a vu des travailleurs abandonner leur droit de grève en échange d’une prime de 2.000 livres…
Sur le plan international, le gouvernement écossais, dirigé par le SNP, a confirmé, à plusieurs reprises, qu’il voit des « aspects favorables » au Grand marché transatlantique, nommé outre Manche TTIP, « notamment pour la croissance et les emplois qui pourraient en résulter ». Mais les officiels ont précisé : « Il est clair que cela ne doit pas se produire au prix d’une ouverture de notre système de santé (NHS) à une privatisation à l’américaine ». Le secrétaire écossais à la santé, Alex Neil, a d’ailleurs écrit qu’il s’engage en faveur « d’une protection du NHS dans les négociations du TTIP, de manière à ce que soit explicité qu’il (le NHS) ne pourrait être ouvert à la privatisation ni maintenant ni dans le futur ».
N’en reste pas moins que, selon les analyses de l’Institute for Fiscal Studies, entre 2209-2010 et 2015-2016, le gouvernement écossais a choisi de réduire d’un pour cent le budget du NHS, alors que le NHS anglais a vu son budget augmenter… Toujours en matière de santé, il semblerait que le gouvernement écossais ai fait le choix de soutenir les prescriptions libres aux dépends du service public, selon le NewStatesman.
En matière de services publics, encore, le SNP¨se trouve sur la sellette. Il a décidé de geler les taxes des councils, ces collectivités locales en charge notamment des personnes âgées et handicapées, entre autres. « Les councils sont désormais incapable d’assurer le niveau de soin nécessaire. Ainsi, certains parmi les plus vulnérables dans la société paient le prix de cette politique. Mais au moins, les propriétaires de la classe moyenne sont heureux », relève Azeem Ibrahim, du Scotland Institute, sur son blog.
Last but not least, en février dernier, la presse a révélé que le gouvernement SNP se prépare à signer un contrat géant avec une compagnie privée, Anglia Water, pour assurer la fourniture en eau potable de pans entiers du secteur public : les 32 councils écossais, les hôpitaux du NHS écossais, la police, les prisons… Ce contrat, qui couvre 15.000 sites a été négocié par Nicola Sturgeon alors qu’elle était secrétaire aux Infrastructures au détriment d’un consortium public… Une annonce amère quand on se souvient que, en 1993, les militants du SNP occupaient le siège d’Anglia Water pour lutter contre la privatisation. 20 ans plus tard, c’est une privatisation masquée que mène le SNP au pouvoir.
Mais c’est avant tout la faillite du Labour qui permet au SNP de prospérer. Nous y reviendrons.
Silvère Chabot et Nathanaël Uhl
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