Offensive ultra-libérale au menu du « Queen’s Speech »
Il faut s’appeler Winston Churchill et se trouver confronté à la menace d’une invasion pour que la promesse « du sang, de la sueur et des larmes » apparaisse comme la garantie du mieux vivre pour tous. La Grande-Bretagne de 2015 est dirigée par David Cameron et n’a pas à faire face au risque de voir les armées nazies débarquées sur son sol. Dans ce contexte, le Queen’s speech de ce mercredi 27 mai apparaît comme la traduction en mot de l’esprit Thatcher 2.0 que Silvère Chabot a déjà mis en lumière ici. Ce discours annonce restrictions des libertés publiques, coupes budgétaires et mise à l’index des libertés syndicales. Il a été marqué par des dizaines de manifestations sur le thème End Austerity Now (Arrêtez l’austérité maintenant).
Traditionnellement, la première séance du Parlement britannique rassemble les élus à la Chambre des Communes et ceux de la Chambre des Lords, pour écouter le « discours de la reine », une vraie déclaration de politique générale. Rédigé par le Premier ministre, il est prononcé de manière coutumière par la reine en tant que chef de l’Etat du Royaume-Uni. Son style est très marqué par la royauté et affecte un côté délicieusement suranné, propre à la monarchie britannique. Ainsi, l’exercice réalisé mercredi 27 mai, débute par ces mots : « Mes Lords et membres de la Chambre des communes. Mon gouvernement légiférera dans l’intérêt collectif des habitants de notre pays. Il adoptera une approche de nation (le Royaume-Uni est composé de l’Angleterre, l’Ecosse, l’Irlande du Nord et du Pays de Galle ; le « one nation approach » signifie la volonté d’une politique commune à toutes les composantes de la Grande-Bretagne – NDA), aidant les travailleurs à réussir, soutenant) l’aspiration, donnant de nouvelles opportunités aux plus désavantagés et réconciliant les parties différentes de notre pays. »
Derrière ces mots apaisants, l’examen du discours dévoile la cohérence du projet conservateur impulsé par le Premier ministre David Cameron : ultralibéralisme économique, restriction des libertés individuelles sous couvert de sécurité nationale, attaque en règle contre les syndicats. Ainsi, pour « élever le niveau de vie » des Britanniques, le gouvernement annonce qu’il s’attaquera aux protections collectives. Les premières propositions concrètes du Queen’s Speech sont claires : « Des mesures seront présentées pour réduire la législation sur les petites entreprises qui pourront ainsi créer des emplois. Une législation sera mise en œuvre pour que ceux qui travaillent 30 heures par semaine, au salaire minimum national, ne payent pas d’impôt sur le revenu. Il n’y aura par ailleurs aucune hausse de l’impôt sur le revenu ni des taux de la taxe sur la valeur-ajoutée ou la sécurité sociale pendant les cinq ans à venir ».
Sachant que le gouvernement a d’ores et déjà annoncé des coupes budgétaires à hauteur de 12 milliards de livres, l’objectif proclamé d’augmenter le budget consacré à la santé, notamment le National Health Service (NHS – équivalent de la sécurité sociale, auquel les Britanniques sont très attachés) et à la protection sociale apparaît bien illusoire. Le membre du parlement (MP) élu travailliste de Leeds, Richard Burgon, a résumé la contradiction : « Le Gouvernement a décidé – malgré une opposition massive – de pousser toujours plus en avant son projet de transformer notre NHS en système de services médicaux à l’américaine, où on se préoccupe plus de votre portefeuille que de votre pouls ».
L’opposition à laquelle fait allusion le député travailliste n’est pas qu’un simple argument rhétorique. Ce mercredi 27 mai, plusieurs milliers de Britanniques sont descendus dans la rue pour manifester leur opposition au gouvernement Tory et aux politiques d’austérité. Quelque jour après les élections générales, des premiers appels à la grève sont apparus. Les tories en ont conscience et prennent les devants. Ainsi, le discours de la Reine annonce une « réforme des syndicats » (afin, notamment, de mettre fin au financement du Labour par les syndicats) ainsi que des mesures « pour protéger les services publics essentiels contre les grèves (sic) ». Chaque grève est précédée, en Grande-Bretagne, par un vote dont la participation conditionne la recevabilité. Le gouvernement annonce son intention de relever le nombre de participants à la votation pour que la grève soit valide.
La réaction syndicale ne s’est pas faite attendre. Le secrétaire général de Unite, le plus gros syndicat du pays, Leonard McCluskey, a répliqué par communiqué : « Étant donné les défis profonds auxquels notre nation doit faire face, il est stupéfiant que la priorité de ce gouvernement ne soit pas de créer des emplois décents et de tendre la main aux travailleurs précaires, mais d’attaquer les syndicats. Sept millions de de salariés britanniques de leurs familles se tournent vers leurs unions pour trouver de l’aide. Nos membres sont ceux qui nettoient nos rues, prennent soin de nos enfants, font tourner nos magasins. Ils ne sont pas la cause de l’économie saccagée de ce pays et ils méritent bien mieux que l’hostilité manifestée par ce gouvernement. »
La déclaration royale confirme également à la fois l’ancrage de la Grande-Bretagne dans l’Otan et l’engagement pris par David Cameron de négocier une réforme de l’Union européenne mais aussi, concession à UKIP, la tenue d’un référendum sur le maintien ou la sortie de la Grande-Bretagne de l’Union.
Enfin, au pays de George Orwell, le Queen’s speech conclut par l’annonce de « mesures à venir pour nourrir la cohésion sociale et protéger le peuple en abordant l’extrémisme (sic). La nouvelle législation modernisera la loi sur les données de communications, améliorera la loi sur le maintien de l’ordre et la justice pénale et interdira la nouvelle génération de drogues psychoactives ». La loi sur les données de communication permettra, au nom de la protection contre le terrorisme, la mise sur écoute généralisée des échanges numériques, à l’instar de ce qui prévaut déjà aux Etats-Unis mais aussi en France depuis peu…
Plus largement, ce sont les droits de l’Homme qui sont en ligne de mire. Le Telegraph, quotidien au lectorat plutôt conservateur, résume ainsi les enjeux : « L’engagement en faveur de l’abandon de l’Acte sur les Droits de l’homme et son remplacement par une déclaration britannique des droits, même si retardée d’un an, est destiné à casser « le lien formel » avec la Cour européenne des droits de l’Homme et faire de la Cour suprême britannique l’arbitre ultime en la matière. Quoique la cour de Strasbourg soit indépendante de l’Union européenne, beaucoup de conservateurs la voient comme un mécanisme par lequel l’Europe se mêle de la justice britannique ».
Globalement, c’est un « assaut généralisé », selon Frances O’Grady, la secrétaire générale de la TUC (la confédération des syndicats britanniques) contre les derniers éléments de protection collective encore debout qu’annonce le gouvernement par la bouche royale. Il y a à la fois les lignes d’attaque contre les politiques publiques au cœur du welfare state, l’état social version britannique, et les outils pour casser, méthodiquement, ce qu’il reste d’acteurs pour s’opposer à cette politique ultralibérale. Bref, les conservateurs continuent l’intégration de la Grande-Bretagne dans le nouvel âge du capitalisme. Margaret Thatcher en a rêvé, David Cameron rêve de le faire. La seule inconnue demeure sa capacité à conserver une majorité pendant cinq ans.
Nathanaël Uhl
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Bonus vidéo : Test Dept and The the South Wales Striking Miners Choir – Comrades in arms
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