Le « lien » entre Labour et Unions en questions
C’est une histoire de lien qui est au cœur de la lutte pour le leadership du Labour Party. Le lien entre le parti travailliste et les syndicats, rassemblés dans la Trade Unions Confederation (TUC). Lien financier, certes, puisque les syndicats sont les plus gros bailleurs de fonds du principal parti de gauche britannique. Mais lien politique aussi puisque, en Grande-Bretagne plus qu’ailleurs, qui paie décide. Les blairistes ont jeté le pavé dans la mare en demandant, clairement et pour la première fois, de « briser le lien » organique entre le Labour et les Trade Unions. Liz Kendall, patronne du think tank Progress et candidate blairiste à la direction du Parti, en a fait son cheval de bataille.
Retour en arrière, au début du 20e siècle. Deux partis se partagent le pouvoir : les Conservateurs et les Libéraux. La classe ouvrière organisée au sein de ses syndicats n’a aucune représentation politique. Aussi, la TUC décide de créer un parti nouveau, pour la représenter au sein du parlement. C’est ainsi que naît le Parti travailliste, comme émanation directe des syndicats. Il va grossir rapidement et amalgamer des « sociétés socialistes », comme la célèbre Fabian Society. Mais les syndicats ont, statutairement, un poids dans l’appareil travailliste qui les rend incontournables pour tout choix stratégique, du leader du Labour à son orientation. En échange, les syndicats assurent une partie majoritaire du financement du parti. Jusqu’en 2010, les syndicats détiennent un bloc de 31 % des mandats lors des congrès.
Le premier changement est mené par Ed Milliband, élu sur une alliance de gauche. Il réussit à imposer une réforme du parti travailliste sur le thème « un homme une voix », minorant ainsi le poids des syndicats et générant de premières crises. Mais les choses ne sont jamais aussi simples. Les syndicats peuvent ainsi susciter des adhésions de leurs membres au Labour, voire prendre en charge leurs cotisations et espérer gonfler leur influence dans un parti où le taux de syndicalisation est, traditionnellement, un des plus élevés parmi les partis de gauche en Europe. C’est dans ce contexte qu’il faut analyser les quelques 30 000 adhésions réalisées au Labour, dans la semaine qui a suivi la débâcle électorale de mai 2015.
Si tous les membres des syndicats ne sont pas adhérents du Labour Party, les unions qui lui sont affiliées comptent 3,5 millions d’adhérents. En 2014, elles ont versé 11 millions de livres au parti travailliste. A l’issue des élections générales, selon une enquête du très réactionnaire quotidien The Sun, 159 élus travaillistes sont soit adhérents soit ont bénéficié des fonds des syndicats. Sur les candidats non élus, 128 seraient dans la même situation. C’est dire le poids que pèsent encore les syndicats dans le parti. A titre de comparaison, le plus gros donateur privé, Lord David Sainsbury, a donné un total de 8,4 millions de livres cumulées avant de couper les vivres au parti quand Ed Milliband en est devenu le leader. Aujourd’hui, le propriétaire de la chaîne de magasins Sainsbury concentre son financement sur Progress qui a bénéficié, de sa part, de plus de 1,8 millions de livres sterling.
Les querelles entre l’appareil londonien et les unions sont récurrentes quand vient le temps des investitures. Nous nous en sommes déjà faits l’écho. Car, même si des syndicats importants soutiennent les thèses blairistes, ce qui invalide la thèse d’une action coordonnée des syndicats, le plus important d’entre-eux, Unite, sait peser pour maintenir le Labour dans une ligne de défense des intérêts de la classe ouvrière. Liz Kendall le sait qui l’a nommément accusé, lui et les « barons syndicaux » de « tenter de saboter » l’élection du prochain leader travailliste. La jeune blairiste a enfoncé le clou, à plusieurs reprises, jusqu’à faire de cette question du « lien » son cheval de bataille. « Il n’est pas sain que le parti soit aussi dépendant des fonds syndicaux », a ainsi martelé l’élue de la circonscription ouvrière de Leicester Ouest. Elle se présente comme défendant l’ensemble des Britanniques, contre les syndicats qui seraient en perte de représentativité. En effet, seuls 14 % des salariés du privé sont syndiqués, contre 56 % sans le secteur public.
Len McCluskey, le secrétaire général de Unite principal syndicat du secteur public, n’a pas tardé à répondre. Il a été accusé d’avoir poussé Jim Murphy, l’ancien patron du Labour en Ecosse, à la démission. Puis, il a brandi la menace de l’arme atomique, si les travaillistes viraient trop « vers le centre » : « Nous devrions repenser nos liens avec le labour party », a-t-il glissé. Len a surtout senti la montée de sa base. De plus en plus de militants de Unite ont rejoint d’autres partis, notamment le SNP, et contestent le lien unique avec les travaillistes. De fait, Len « le rouge » profite des critiques de sa base pour tenter d’imposer son agenda politique au parti travailliste, dans la grande tradition du mouvement syndical outre-Manche. Il se dit que celui que la presse conservatrice considère comme « héraut de la gauche dure » aurait choisi son candidat dans la course au leadership : le très modéré Andrew Burham.
Mais Len McCluskey n’agit pas seul. Ainsi, dans une tribune, 27 MPs se prononcent pour le maintien du lien avec le mouvement syndical, dans des propos peu susceptibles d’interprétation : « Nos syndicats affiliés devraient être encouragés dans leurs efforts afin que leurs membres deviennent membres de notre parti. Nous devons aussi être clairs : les dirigeants syndicaux élus ont le droit et le devoir d’exprimer leurs avis sur la politique et sur les candidats au nom de leurs unions. » Evidemment, ces 27 parlementaires sont tous issus de la gauche du Labour et combattent l’orientation blairiste.
Car, derrière le débat sur le « lien » entre le Labour et la TUC, c’est bien l’orientation politique des travaillistes qui est en question. Dans la continuité des gouvernements Blair et Brown, Liz Kendall et les blaristes veulent continuer à transformer le Labour en parti démocrate menant une politique d’atomisation du corps social, considéré comme une addition de clientèles électorales. Les syndicats et la gauche travaillistes défendent encore le welfare state et une vision collective, sinon de classes, de la société britannique.
Or, une des contradictions auxquelles doivent faire face les héritiers de Tony Blair, c’est que la conséquence de leur politique gouvernementale a été que « la majorité des postes à responsabilité soumis à renouvellement dans les syndicats ont été remportés par des candidats de gauche voire très à gauche », relève le politologue Philippe Marlière. Ce dernier, pourtant, ne voit pas d’un bon oeil une redéfinition des liens entre Unions et Labour : « D’un côté, cela faciliterait la tâche aux blairites et, de l’autre, cela renforcerait le corporatisme de certains syndicats ».
N’en reste pas moins que s’en prendre au lien entre le parti travailliste et les syndicats, au moment même où le gouvernement conservateur s’apprête à lancer une offensive anti-syndicale d’une ampleur rarement égalée, relève, pour Liz Kendall, d’une drôle d’appréciation du temps politique.
Nathanaël Uhl
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Bonus vidéo : The NightWatchman – Union Song