David Cameron, entre vices privés et vertus publiques
PORTRAIT. Il donne toujours l’impression d’un profond détachement, comme si la réalité lui importait peu. David Cameron est pourtant le Premier ministre d’une des nations les plus puissantes d’Europe. Pour son deuxième mandat, il dispose – enfin – d’une majorité absolue à la Chambre des communes. Pour autant, cela ne l’atteint guère. Comme si l’aristocrate qu’il est, bien qu’il ne mette pas en avant ses titres, ne pouvait pas se laisser atteindre par la vulgarité de la situation. David Cameron apparaît toujours comme une incongruité dans le monde politique, auquel il était pourtant prédestiné. Il est surtout tellement british…
La seule discussion concernant ses origines reste de savoir à quel roi il est, de manière certes lointaine, apparenté : William IV ou Henry VII. Fils d’un père agent de change et d’une mère magistrate, il est né, en 1966, « avec la cuiller d’argent dans la bouche ». En 1974, il entre dans l’école préparatoire que fréquentent les princes Andrew et Edward. Ensuite, évidemment, il fréquente le collège privé d’Eton, pouponnière de l’élite britannique, puis Oxford où il suit, là encore, la voie royale avec des études en « philosophie, politique et économie » qui le prédestinent à Westminster. Il aurait fumé du cannabis dans les années 80 avant de rentrer à la fac. Tout en admettant avoir fait des choses « qu’il n’aurait pas dû faire et les regretter », il a toujours refusé de commenter ces informations, arguant du « droit à un passé privé ». Robin Cook, auteur de Vices privés et vertus publiques, a dû adorer. Dans la lignée, il a aussi adhéré au Bullingdon Club, réputé pour ses beuveries et ses sorties nocturnes agitées. Néanmoins, il sort d’Oxford avec les meilleures appréciations, sans trop forcer son talent. Tout le monde reconnaît son intelligence, personne ne parle de lui comme d’un « bûcheur ».
Avec trois ancêtres MPs et conservateurs, il ne pouvait manquer la case Tories à sa sortie d’Oxford. Il intègre le département de prospective. Puis, il bénéficie de ces coups de pouce qui ne manquent jamais aux bien-nés. Dans son milieu, l’ambition est une qualité que les amis de la famille ne manquent pas de soutenir. En 1991, il rejoint donc l’équipe du Premier ministre John Major, pour l’aider à préparer ses conférences de presse. Plus tard, il devient conseiller spécial de Norman Lammont, alors chancelier de l’Echiquier (ministre des finances). Puis en 1994, il part dans le privé, comme directeur de la communication du groupe de médias Carlton, un poste qui lui apprendra les astuces de la communication politique. En 2001, il finit par conquérir une circonscription, Witney, à proximité d’Oxford. Encore.
Le jeune homme ne perd pas de temps. Shadow secretary à l’Education, il se présente au leadership du parti conservateur en 2005. Le parti est toujours sous le choc de sa défaite électorale en 1997. Il se pourrait que Cameron ait savamment étudié, outre la communication, le positionnement de Tony Blair, alors premier ministre travailliste. En effet, Cameron est élu leader des tories après avoir fait campagne en faveur d’une modernisation de l’image très droitière du parti, dans la lignée des mandats de Margaret Thatcher. David Cameron bat les estrades en appelant de ses vœux une nouvelle génération, il souhaite que « les gens se sentent à nouveau bien d’être conservateurs ». La prise de pouvoir de David Cameron rompt avec quarante ans de pratiques politiques au sein du parti conservateur. Ses prédécesseurs depuis quarante ans, notamment Thatcher et Major, étaient plutôt issus des écoles publiques avec une biographie de roturiers, pour faire peuple. Cameron, même s’il est très discret sur son ascendance (qu’il semble ne pas très bien assumer), est le prototype de l’aristocrate tory.
Néanmoins, il prône un « conservatisme compatissant », plutôt ancré au centre, moderne, soucieux de l’environnement et des plus défavorisés. David Cameron va se faire photographier en Laponie, en compagnie de chiens de traîneaux, pour convaincre de son inquiétude pour le réchauffement climatique. S’opposant à une frange importante de son parti, il soutient fermement la loi en faveur du mariage pour tous. Il écarte la vieille garde du parti, rajeunit et féminise les cadres, et recentre les Tories, qui adoptent des thématiques nouvelles : éducation, santé, environnement.
Aux médias, il dévoile ses vertus publiques. Il émeut l’opinion en évoquant publiquement en février 2009 la mort de l’un de ses trois enfants, Ivan, gravement handicapé et atteint d’épilepsie. Cet épisode va doper la popularité d’un Cameron cultivant l’image d’un homme accessible, bon père de famille. Les Tories en profitent. Cette popularité l’autorise à mettre en garde le public contre de « douloureux » sacrifices à venir, en raison de la crise. Et de son nouveau credo : la réduction des déficits publics.
Le succès du repositionnement de l’image du parti conservateur, associé à la fin chaotique du gouvernement Gordon Brown, permettent à David Cameron de remporter les élections générales de 2010. A 43 ans, il devient le plus jeune premier ministre depuis 1812. Mais… Ayant échoué à conquérir une majorité absolue, il doit former un gouvernement d’alliance avec les libéraux-démocrates. Il explique alors : « Nick Clegg (patron des libéraux-démocrates) et moi voulons mettre de côté nos différences politiques pour travailler au bien commun et à l’intérêt national ». La réalité sera différente. Toutes les réformes proposées par les Lib-Dems seront repoussées et, finalement, Nick Clegg apparaîtra comme la caution centriste d’une politique très droitière, marquée par la privatisation de la Poste, à laquelle même Margaret Thatcher n’avait pas osé toucher.
La sanction ne se fera pas attendre : lors des élections générales de 2015, les Lib-Dems sont balayés, leur groupe parlementaire passe de 57 MPs à… 8. Cameron a su mouiller la chemise et remonter les manches, au sens propre du terme. On le voit, rouge, battre l’air de ses bras. C’est qu’il a été percuté par la victoire des eurosceptiques et populistes de UKIP. Il a donc confié la direction de la campagne à Lynton Crosby, un Australien combatif et vulgaire, afin de se reconnecter avec la section petite-bourgeoise et thatchérienne du parti. Un pari gagnant sur toute la ligne. Qui a même réussi à faire oublier un lapsus qui aurait pu lui être fatal, singulièrement en Grande-Bretagne. « Cette élection est déterminante pour ma carrière », a-t-il lâché en public, avant de bredouiller « euh… pour le pays ».
David Cameron sait visiblement remporter des élections. Et le parti conservateur lui en est reconnaissant. Mais beaucoup se questionnent sur ses fondamentaux idéologiques. Ses détracteurs le dépeignent sans convictions. Comme si, pour garder ce côté lisse qui le définit si bien, la conviction avait des apparences de bouton d’acné. Ses changements de pied sur la question européenne en témoignent. Eurosceptique pour flatter l’électorat et la frange la plus droitière du parti conservateur, pro-européen modéré le surlendemain, Cameron navigue à vue. Ou, peut être, échaudé par les déboires de John Major sur la question (à la fin de son mandat, ce dernier n’avait plus de majorité en raison des désaccords sur l’Europe au sein de son parti), n’a-t-il de boussole que de conserver l’appareil tory à son service. Pour l’heure, il n’y a aucun rival déclaré. Le seul en capacité de lui faire de l’ombre, le bouillonnant maire de Londres Boris Johnson, s’active plutôt à désamorcer les crises possibles.
C’est que David Cameron ne fera pas le service après vente. Au commencement de ce second mandat, il apparaît encore comme un bourreau de travail modéré. Le premier ministre refuse de se coucher après 22 heures, aime beaucoup les jeux vidéo et profiter du manoir de Chequers, la résidence à la campagne des Premiers ministres, pour se détendre avec sa femme Samantha, fille d’un baron, et leurs trois enfants. Il est passé maître dans l’art de déléguer, notamment à son chancelier de l’Echiquier, George Osborne, véritable homme fort de son dispositif. L’amitié entre les deux semble solide et on prête à Cameron le désir de désigner son ministre des Finances comme successeur. Ce qui est sûr c’est qu’Osborne, lui, a des convictions solides à défaut de popularité.
Nathanaël Uhl
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Bonus vidéo : Audio Bullys – We Don’t Care