Leadership du Labour : la tension monte
Crise au groupe parlementaire
Le sondage de l’institut YouGov, publié dans le Times en début de semaine, a contribué à mettre le feu aux poudres, dans un contexte tendu où le groupe parlementaire du Labour est déjà en proie à de vives dissensions sur le vote du budget concernant les prestations sociales.
En effet, 48 Membres du Labour au Parlement (sur 232) ont décidé de voter contre le budget consacré à l’aide sociale, alors que le groupe a reçu pour consigne de s’abstenir. Cela en dit long sur le ressentiment provoqué par la position d’Harriet Harman (leader par intérim du Labour) et sa volonté d’afficher un profil « constructif ». La colère va bien au delà de l’aile gauche du parti, modestement représentée au Parlement par le collectif Socialist Campaign Group. Présidé par John Mc Donnell, le groupe est passé de 14 membres à 9 après les élections générales de 2015 : Diane Abbott, Ronnie Campbell, John Cryer, Jeremy Corbyn, Kelvin Hopkins, Ian Lavery, John McDonnell, Ian Mearns et Dennis Skinner.
Au cours des 5 heures du débat consacré aux 12 milliards de Livres de coupes budgétaires, John McDonnell a déclaré qu’il « nagerait à travers du vomi si nécessaire pour voter contre cette loi ». Et selon lui, à entendre les discours nauséabonds au Parlement, il lui semble qu’il le traverse déjà, ce vomi…
La baisse du plafond d’allocations par foyer, de 26.000 £ à 20.000 £ et d’autres coupes austéritaires ont été adoptées par 308 voix contre 124 (dont les 48 du Labour, les 56 du SNP (Scottish National Party), Caroline Lucas du Green Party, et les Lib Dems). Un amendement du Labour, chargé de faire capoter le projet, a été repoussé, par 308 voix contre 208. Parmi les candidats au leadership, Lizz Kendall s’est alignée sur la position d’Harriet Harman, ainsi qu’Yvette Cooper. Andy Burnham s’est abstenu, tout en annonçant par la suite que s’il était élu leader du parti, il voterait contre…
Pour Jeremy Corbyn, il faut être clair, ce projet de loi est « pourri et indéfendable », et pour cette raison il s’est refusé à suivre la consigne de vote d’Harriet Harman.
« Au lieu d’attaquer les travailleurs pauvres, nous avons besoin d’une économie juste et moderne. Nous devrions être fiers de ce que, sous l’égide du dernier gouvernement Labour, nous avons sorti des milliers d’enfants de la pauvreté, mais ce projet de loi va lui dans la direction opposée. On ne peut pas rester neutre quand on coupe les aides aux familles qui ont plus de deux enfants ».
Pour en revenir au sondage de la discorde, il faut aller au-delà des habituelles questions légitimes sur la fiabilité de l’échantillon (1053 personnes interrogées), et de la manière dont les sociétés d’enquêtes montent leurs panels de supporters du Labour. Il souligne une fois de plus la réussite de la campagne menée par Jeremy Corbin.
Rappelez-vous, il y a quelques semaines, on doutait de la capacité de la gauche du parti à pouvoir prétendre à la candidature à la direction du parti. Non seulement elle est dans la course, mais elle se trouve au centre des débats !
Les intentions de votes indiquent que 43 % des personnes interrogées choisissent Jeremy Corbyn, devant Andy Burnham (26 %), puis Yvette Cooper (20 %), Liz Kendall ferme la marche avec 11 %. Au second tour, Jeremy Corbyn l’emporterait par 53 % des suffrages contre Andy Burnham. Les intentions de votes parmi les syndiqués et supporters sont plus élevées pour Jeremy Corbyn, 57 %. Pour autant , selon l’institut YouGov, la course reste ouverte tant que les adhésions et affiliations syndicales ne sont pas closes.
Du côté du staff de campagne d’Yvette Cooper, on apprécie très modérément ce sondage, qui ne reflète pas la réalité, d’après eux, et qui sous-estime la popularité d’Yvette parmi les adhérents du parti.
Le spectre de la déroute des années 80 pour faire revenir les adhérents dans le droit chemin.
Le succès de la campagne de Jeremy Corbyn se mesure à l’ampleur des attaques qui sont déployées par ses adversaires dans les médias. C’est Tony Blair en personne qui est de nouveau sorti de sa retraite dorée lors d’une conférence de presse chez Progress. Au programme, une série d’attaques contre Jeremy Corbyn. Ainsi, selon Tony Blair, choisir Corbyn c’est prendre le risque de cantonner le Labour dans l’opposition pour 20 ans. « On ne peut pas gagner les élections avec une plateforme gauchiste ». Certes, Tony Blair a – en partie – permis au Labour de remporter les élections de 1997, mais il est l’artisan de la fuite de 4 millions d’électeurs du Labour, qui ne sont pas revenus en 2015. En 2001 et 2005, sous son égide, le Labour rassemblait moins de suffrages que lors de la défaite de 1992 sous la direction de Neil Kinnock. En dépit de la fable des nostalgiques du blairisme, 2 % de l’électorat Labour a voté pour les Tories. La majorité, elle, reste à la maison. Air connu, sans oublier le refrain sur ce qui est en jeu, redonner une crédibilité perdue par le Labour dans l’économie.
Loin de faire l’unanimité, Tony Blair a reçu une volée de bois vert de John Prescott, figure ouvrière du parti, qui s’est moqué d’un « Tony qui se prend pour le dieu tout puissant du Labour ». Il a souligné que Blair n’a aujourd’hui aucune légitimité pour décider qui doit être à la tête du parti. Selon lui, la sortie de Blair sur les soutiens de Corbyn :
« Ceux qui sont de tout cœur avec lui, ont besoin d’une transplantation cardiaque »
est gratuite et abusive. Et puis, selon Prescott, c’est la guerre en Irak qui a fait fuir les électeurs du Labour, pas Jeremy Corbyn.
Jeremy Corbyn a répondu, calmement :
Tony devrait faire attention à ce qu’il dit. Regardez la situation en Grande-Bretagne, avec 1 million de personnes qui dépendent des banques alimentaires, avec un système d’aide sociale en crise. On ne peut pas offrir une politique d’austérité « légère » en guise d’alternative pour l’avenir.
Rien de bien neuf dans l’inventaire des arguments de la droite du parti, signe de la nervosité de certains à la direction du Labour, les coups bas se multiplient, comme le relate The Independent, qui évoque l’hypothèse d’un coup pour renverser Corbyn à la fin de l’année, si d’aventure il remporte l’élection. D’autres, tel l’ancien conseiller spécial de Tony Blair, John McTernan, évoquent l’idée que les autres candidats se rassemblent et ne fassent plus qu’un pour écarter le danger. McTernan s’en est pris aux Membres du Parlement « abrutis » qui ont permis à Jeremy Corbyn de se présenter pour permettre que le débat le plus large ait lieu, manière d’instruire un procès sur la légitimité de sa candidature. Un conseiller que John Prescott a rhabillé pour l’hiver, en rappelant que sa « crédibilité est nulle » : « il a conseillé le Labour écossais, le Labour australien, et ils ont perdu les élections « .
Liz Kendall s’est d’ailleurs exprimée pour mettre fin à la rumeur de plus en plus insistante qui annonce qu’elle va se retirer en faveur d’un autre candidat. Liz Kendall a déclaré à la BBC : « Je me battrais pour mes idées jusqu’au bout ».
C’est sur le terrain des idées que Jeremy Corbyn poursuit sa campagne, en particulier sur l’économie. C’est ce qu’il a fait lors du débat des candidats au leadership à la radio LBC. Il a détaillé sa volonté de récupérer 93 milliards en mettant fin aux aides aux entreprises, et en les plaçant dans une banque nationale d’investissement, pour assurer les travaux d’infrastructure (logement, transport, numérique et énergie). Il s’est aussi prononcé pour une vraie lutte contre l’évasion fiscale tout en taxant les plus riches. Et il a affirmé ses convictions sur la nécessité d’avoir un service public fort pour booster l’économie. Enfin, il lui semble nécessaire de faire du service hospitalier un Droit de l’homme.
D’ailleurs, dans l’opinion, on est loin du désastre annoncé par certains, nombre de propositions de Jeremy Corbyn sont nettement approuvées par les personnes interrogées dans des sondages :
– 60% pour la renationalisation des chemins de fers (sondages YouGov et Get the date), 20% contre.
– La taxation des plus riches, approuvée à 56% contre 31%.
– Le bannissement des armes nucléaires, approuvé à 64% contre 21%.
– La mise en place de contrôle des loyers : 59% pour, 7% contre.
– Un réel revenu minimum: 60% pour, 31% contre.
– La baisse des frais de scolarité : 49% pour, 31% contre.
Dans un autre registre 43% sont toujours opposés à la guerre en Irak, contre 37%. 60%, contre 24% sont opposés aux bombardements britanniques en Syrie.
Une question soulevée par le journaliste Ian Dale, après qu’Yvette Cooper se soit encore défilée en refusant de dire à qui elle ferait appel pour le cabinet fantôme, est sortie du lot :
« Si Jeremy Corbyn est donné vainqueur, c’est parce qu’il est le seul à donner des réponses claires ? »
Aujourd’hui, nous avons 4 vidéos, choisies par les candidats au leadership, en réponse à la question : « quelle chanson allez-vous passer à votre meeting de victoire ? »
Andy Burnham – Take Over the World – the Courteeners
Jeremy Corbyn – Imagine, John Lennon
Yvette Cooper – The Winner Takes it All, ABBA
Liz Kendall – Get Up Stand Up – Public Enemy