Philippe Marlière : « La victoire de Corbyn serait un séisme politique »
Philippe Marlière, politologue et enseignant en sciences politique, est professeur à University College London. Il écrit régulièrement pour Regards et pour le quotidien britannique The Guardian.
Le leadership pour le Labour Party rentre dans sa dernière phase avec le vote des adhérents. Le candidat de gauche, Jeremy Corbyn, semble capable de l’emporter. Quelles répercussions cette élection pourrait-elle avoir ?
A mon sens, si Corbyn est élu, ce serait potentiellement plus important que la victoire électorale de Syriza en Grèce, au printemps dernier. La Grande-Bretagne est la deuxième économie de l’Union européenne, le parti travailliste est l’un des partis de gauche les plus importants à l’échelle européenne et il rassemble des éléments aussi différents que des socialistes au sens propre du terme, ou appelons cela aussi des sociaux-démocrates véritablement sociaux et démocrates, comme Corbyn ou John McDonnell, et des sociaux-libéraux héritiers du blairisme. C’est un parti de masse avec une emprise solide sur la société britannique – contrairement à Syriza en Grèce -, notamment au travers de ses liens historiques et, pour douze d’entre eux, statutaires avec les syndicats. Corbyn a d’ailleurs reçu le soutien explicite des deux plus importantes organisations syndicales du Royaume-Uni. Sa victoire créerait un séisme politique, ouvrant une situation nouvelle et originale en Europe.
En quoi la victoire de la gauche travailliste peut-elle ouvrir un espace original ?
D’abord, il y a le profil de Jeremy Corbyn lui-même. Contrairement à beaucoup de dirigeants réformistes européens acquis au néolibéralisme, c’est un authentique social-démocrate, dans la tradition de la 1e Internationale. Membre du Labour depuis ses plus jeunes années, il n’a jamais été membre d’une organisation de la gauche radicale, il n’a jamais été trotskiste. Il a travaillé, pendant quelques années pour le mouvement syndical, avant de devenir membre du parlement pour le parti travailliste. Il a fait le choix d’un parti de masse et défend, depuis le début, la même ligne socialiste, très à gauche, mais réformiste.
Les commentateurs britanniques qualifient Corbyn de socialiste libertarien. Est-ce que ce qualificatif est adapté ?
Il faut d’abord revenir à la tradition britannique qui se nourrit, depuis plusieurs siècles, d’une défiance vis-à-vis du pouvoir central et de l’Etat. Le socialisme britannique s’appuie certes sur l’Etat pour faire progresser le bien commun, c’est tout le sens des nationalisations effectuées par le gouvernement Attlee au sortir de la deuxième guerre mondiale ou des propositions portées par Corbyn de renationaliser les services publics fondamentaux : rail, énergie, poste… Mais il faut aussi se protéger des excès de l’Etat quant aux libertés individuelles et aux aspects sociétaux. Rappelons-nous que Jeremy Corbyn s’implique particulièrement en politique à partir du moment où Margaret Thatcher dirige le pays. Et le socle thatchérien est à la fois une dérégulation économique avec son cortège de privatisations et sa lutte contre les syndicats mais aussi d’une gestion policière des conflits sociaux (grève des mineurs) et des questions sociétales (droits des minorités ethniques, des femmes, des gays/lesbiennes).
La tradition politiquement libérale de la gauche britannique associée à l’expérience thatchérienne expliquent le rapport tempéré de Corbyn vis-à-vis du rôle de l’Etat. C’est quelque chose que la gauche française a beaucoup de mal à saisir parce qu’en France on pense à gauche que l’Etat est plutôt bon par nature. En Grande-Bretagne, même à gauche, ce n’est pas le cas. Sur le plan international, ses positions ont souvent été radicales, voire avant-gardistes. C’est un farouche partisan de la libre détermination des peuples, d’où ses engagements en faveur des Républicains irlandais dès les années 70, de la Palestine, mais aussi contre l’Apartheid… mais il est aussi pour la libre détermination des individus ; c’est-à-dire la liberté de concevoir pour soi-même ce qu’est la « vie bonne »
Quoi qu’il en soit, Corbyn apparaît comme un extra-terrestre en Grande-Bretagne. Est-ce que son succès n’est pas aussi l’expression d’une révolte contre l’establishment travailliste ?
C’est exact. Revenons au point de départ. Le Labour dirigé par Miliband perd les élections, contre toute attente. C’est un moment clé. Le parti est déboussolé, les militants abattus. Très vite, les blairistes, l’aile droite du parti, développent un discours sur le thème « nous avons été battus parce que le programme électoral était trop à gauche » et « nous n’étions pas crédibles sur le plan économique ». C’est un récit négatif. Or, Miliband n’a jamais eu les mains libres au sein du Labour : confronté à des rumeurs de rébellions en interne tous les six mois, il n’a eu de cesse de faire des compromis avec les uns et les autres. Au final, son programme prônait une sorte d’austérité light qui n’a satisfait personne. Corbyn s’est démarqué totalement de ce récit négatif et droitier et cela a suscité l’adhésion des militants.
Comme le dit son adversaire Burnham, le vétéran socialiste a capté l’humeur du parti travailliste. Mais il bénéficie aussi d’un positionnement positif dans le parti : contrairement à ses trois rivaux, il n’a jamais tenu de rôle dans l’establishment blairiste ou brownite. Il apparaît donc crédible sur ses position Il fait des propositions qui épousent les attentes de l’électorat. Avec un discours offensif, Corbyn a pu marquer des points très rapidement.
Mais finalement, en quoi Jeremy Corbyn est-il innovant, politiquement parlant ?
Il est crédible car depuis plus de trente, il a été de tous les combats de la gauche. Il est particulièrement connu pour son engagement pacifiste : en tant que président de la Stop The War Coalition, il a contribué à l’événement politique le plus significatif de ces dernières années :deux millions de personnes sont descendus dans les rues de Londres en 2003 contre la guerre en Irak. Il y a aussi son programme politique dont les dimensions sociétales et écologiques, en plus de ses aspects économiques et sociaux, ouvrent la voie à une coalition politique de gauche, avec le Green Party et d’autres composantes de la gauche de transformation en Grande-Bretagne et avec les partis nationalistes en Ecosse (SNP) et au Pays de Galles (Plaid Cymru) Et ça, c’est vraiment novateur en Grande-Bretagne.
Propos recueillis par Nathanaël Uhl
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Bonus vidéo : Beirut – The Rip Tide
Comme le dit l’article,au moins avec lui on sait a qui on a a faire!
Aussi Corbyn a des iddees nouvelles car elles n’existaient pas avec Brown et Blair et encore moins avec Cameron,d’ou sa popularité chez les jeunes!
De plus je pense que les Anglais ont besoind’1 homme comme lui pour changer leurs societés et je ne susi pas sur que si Corbyn se presente il soit sur de perdre les prochaines éléctions!
Et bien sur il me fait penser a Marxet au Che!
Il deviendra surement mondialemnt celebre et il en lui manque plus que l’appui d’artiste comme Russel Brand!
Je suppose que votre conclusion est de l’ordre de l’ironie : Russel Brand a annoncé son soutien à Jeremy Corbyn, depuis quelques temps déjà.
Ca n’est pas ironique car je ne connaissais pas cette info!
Je l’ai juste deviné!
Aussi je ne m’interesse à Corbyn que depuis seulement deux jours mais je suis sur que ca notoriété va aller en augmentant au fil des temps!
A défaut de ne pas etre président ,il est comme un premier ministre normale, ca a fonctionné en France la derniere fois alors pourquoi pas en Angleterre?
La comparaison ne peut pas s’appliquer. Les situations et les cultures politiques sont trop différentes. Et Corbyn n’est pas Hollande. Déjà, il n’a jamais joué de rôle prédominant au sein du Labour et, d’autres part, il a défié les consignes du parti travailliste à plus de 500 reprises quand le « président normal » imposait les consignes quand il était premier secrétaire du PS.
En tous cas, c’est bien de s’intéresser à ce qu’il se passe en Grande-Bretagne.
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