L’establishment du Labour Party se résigne à la victoire de Corbyn
« D’abord ils vous ignorent, ensuite ils vous raillent, puis ils vous combattent et enfin, vous gagnez. » Cette citation, attribuée à Ghandi, pourrait très certainement caractériser l’attitude de l’establishment du Labour party à l’endroit de Jeremy Corbyn. Alors qu’il reste encore près de deux semaines pour que les désormais 550 000 personnes autorisées à voter se prononce, les derniers échos chez les travaillistes, de même que les rares sondages disponibles, laissent apparaître qu’il y a désormais peu de chances que la victoire échappe au vétéran socialiste. Les états-majors de ses trois concurrents : Andy Burnham, Yvette Cooper et Liz Kendall, semblent comme résignés à l’inéluctable.
Pourtant, une très grande majorité d’adhérents du Labour ne s’est toujours pas exprimée. Dans certains endroits, les bulletins de vote ne sont même pas arrivés à destination. Il s’agit là de la conséquence directe de la sérieuse épuration des listes effectuées par la direction travailliste. Plus de 60 000 personnes qui s’étaient inscrites, notamment par le biais d’internet, ont vu leur adhésion ou leur enregistrement comme supporters (moyennant une participation de trois livres) invalidée. Une partie des militants engagés en faveur du candidat de gauche Corbyn ont dénoncé des « purges » visant particulièrement des impétrants lui ayant manifesté leur soutien publiquement.
L’état-major travailliste a démenti, arguant d’engagements politiques divergents dans un passé récent. Or, c’était bien là un des objectifs de Corbyn et de la gauche que de ramener, dans le giron du Labour, des centaines de Britanniques qui avaient boudé le parti en raison des positions par trop social-libérales. Ainsi, le secrétaire général du puissant syndicat PCS (Public and Commercial Services Union), Mark Serwotka, qui a voulu revenir au Labour après l’avoir quitté dans les années 2000, a été blackboulé. La généralisation de ce procédé a entraîné l’émergence du hashtag #LabourPurge sur twitter, bien que la campagne de Corbyn n’ait jamais été à l’initiative de ce mouvement.
En tête dès le premier tour avec 55-56%
La gauche du Labour entend plutôt jouer l’apaisement et se félicite qu’aucun des concurrents en lice ne parle plus d’action en justice après le dépouillement des votes, le 10 septembre. La semaine après le 15 août, il en allait tout autrement, d’autant qu’il apparaissait que l’organisation du Parti travailliste n’avait pas suivi les conseils de ses avocats concernant la sécurisation des opérations de contrôle des adhésions et des votes. En cas de score serré, cette faille aurait pu alimenter un recours et justifier un nouveau vote. Mais les dernières estimations réalisées par l’institut de sondage YouGov placent Corbyn en tête dès le premier tour, avec 55-56 % des suffrages, après correction suite à la réduction drastique (près de 10 %) des effectifs travaillistes. L’estimation réalisée auparavant tablait sur un score de 57 %…
Corbyn a donné plusieurs signes en direction de ses rivaux. Et le hustings (événement de la campagne électorale) organisé par le tabloid de centre-gauche The Mirror a amené les journalistes à mettre en lumière que les discours des quatre candidats révélaient plus de points de convergences que de divisions, malgré des divergences assumées. Ainsi, il a confirmé qu’il soutient le maintien de la Grande-Bretagne dans l’Union européenne, alors qu’une partie croissante de la gauche britannique se prononce désormais pour le Brexit. Par ailleurs, s’il a fermement critiqué le fonctionnement de l’OTAN, « une organisation datée de la guerre froide », Jeremy Corbyn n’a pas évoqué une sortie de le Grande-Bretagne de l’Alliance atlantique. Ce point eut été un cas de rupture pour Andy Burnham, le seul des trois adversaires de Corbyn à avoir accepté de participer à un éventuel shadow cabinet dirigé par le Membre du parlement pour Islington-North. Yvette Cooper et Liz Kendall ont d’ores et déjà annoncé, de leur côté, qu’elles refuseront de servir sous la direction du parlementaire socialiste.
Démocratisation du parti travailliste
Le cabinet fantôme travailliste est actuellement marqué par une sur-représentation des blairistes, une concession d’Ed Milliband pour se conserver une majorité lors de son mandat de leader du parti. Corbyn a renoncé à remettre en place l’élection des membres de cette instance, qui sont appelés, en cas de victoire, à devenir ministres. Ce recul apparent, pour quelqu’un qui souhaite parachever la démocratisation du Labour, lui permettrait surtout – en cas de victoire – de décrocher quelques membres de l’actuel shadow cabinet pour donner de la consistance au rassemblement qu’il devra opérer. En effet, Corbyn ne dispose que de 14 membres du parlement, qui se sont explicitement prononcés en sa faveur. Or, le Parliamentary labour party (le groupe parlementaire travailliste et une des trois composantes statutaires du parti) dispose encore d’un poids extrêmement fort dans la définition de la ligne politique du Labour. C’est un point auquel Jeremy Corbyn entend d’ailleurs fermement s’attaquer. Le 27 août, lors d’une réunion, il a indiqué que les adhérents devront être mieux associés à l’élaboration du programme du parti travailliste.
Du côté des blairistes, on se met déjà en ordre de marche pour l’après. Actant, de facto, la victoire de Jeremy Corbyn, ils ont annoncé la constitution d’un groupe parlementaire de résistance, baptisé « Labour for the Common Good » (Labour pour le bien commun). Un groupe qui n’aura pas la tâche facile, encore moins si, comme les prévisions le laissent à penser, Corbyn est élu leader du parti dès le premier tour. En ce cas, il disposera d’un mandat majoritaire et d’une force politique dont aucun leader du parti n’a bénéficié jusqu’alors, les règles de désignation n’étant pas les mêmes.
Attaques dénuées de fondement
En cas de victoire, Corbyn sera proprement intouchable. De fait, il a déjà anéanti le premier argument de ses opposants sur son incapacité à gagner les élections générales, une sortie qui s’est même retournée contre eux. La presse s’est gaussée de figures du Labour attaquant Corbyn sur son inéligibilité supposée et incapable de le battre dans une élection. Il a surmonté l’accusation de trotskisme et d’entrisme. Enfin, pour le moment, il a survécu aux procès en antisémitisme, tant ces attaques apparaissent, pour les observateurs sérieux, dénuées de fondement. En observant la participation aux meetings de sa campagne et la Corbynmania sur les réseaux sociaux, on pourrait même penser que ces tentatives de déstabilisation n’ont fait que renforcer la candidature Corbyn.
De fait, la perspective d’une Labour Civil War, tant attendue, semble se dissiper tant rien ne paraît pouvoir empêcher Jeremy Corbyn de prendre la tête d’un parti qui ne demande rien d’autre. Les sondages, s’ils sont fiables, le donnent gagnant dans les trois collèges : adhérents directs, membres des syndicats et supporters à trois livres. Si rien ne change, le vétéran ferait donc le grand chelem.
Nathanaël Uhl
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Bonus vidéo : Sixto Rodriguez – The Establishment Blues
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