Que Corbyn soit élu ou non, rien ne sera plus pareil au Labour
Depuis midi, heure de Londres, les jeux ont faits. Le vote en vue de la désignation du futur leader du Labour party est clos ce jeudi 10 septembre. Les résultats seront rendus publics samedi, lors d’une conférence spéciale du parti travailliste. Nous saurons aussi, à ce moment-là, qui sera le leader adjoint, plus en charge de l’organisation et de la mobilisation des militants. Ces derniers jours ont vu Yvette Cooper émerger comme la challenger la plus crédible face au toujours favori candidat de la gauche Jeremy Corbyn. Tant que les bulletins ne sont pas dépouillés, il est toujours possible que la tendance qui place le membre du parlement pour Islington-North comme vainqueur s’inverse. Mais quel que soit le résultat final, le New Labour est désormais enterré et le Labour nouveau est là pour durer.
En premier lieu, le parti travailliste est passé de 195 000 adhérents à 299 000 membres directs en l’espace de 3 mois et demi. Un chiffre auquel il faut ajouter les membres affiliés, soit les syndicalistes qui ont opté pour l’adhésion au Labour et les quelque 100 000 supporteurs à 3 livres. De fait, les effectifs travaillistes ont été quasiment multipliés par trois. Et la campagne de terrain menée par Jeremy Corbyn a largement contribué à ce renouvellement massif qui voit des jeunes – très nombreux – rejoindre le vénérable parti mais aussi des anciens membres renouer avec leur engagement passé. Même si quelques centaines de militants issus d’autres partis de gauche ont tenté de rallier le Labour, l’essentiel de ces nouveaux venus ne sont pas de dangereux gauchistes.
Dans les Constituency Labour Parties, les organisations travaillistes de base définies par la circonscription électorale (celle où l’on élit le membre du parlement), un cadre envoyé par Londres ne s’y retrouverait pas entre mars 2015 et septembre de la même année. Les têtes auront bien changées et les rapports de force seront donc bien différents. Il y a fort à parier que le souffle provoqué par la campagne Corbyn se traduise par un militantisme critique et donc exigeant de ces nouveaux adhérents. La désignation des futurs candidats, pour toutes les élections à venir, à commencer par le scrutin local de 2016, va être sérieusement impactée par cette réalité neuve. Pour autant, cela ne signifie pas que les blairistes vont être éradiqués. Appuyés sur leur think tank et « banque privée » Progress, ils ont encore des moyens, d’autant qu’ils sont sur-représentés au sein d’un Shadow Cabinet auquel Corbyn a prudemment annoncé qu’il ne s’attaquerait pas, en cas de victoire. Mais le vote pour choisir les futurs candidats aux élections générales pourraient se traduire par un nouvel affaiblissement de la droite du parti. Que Corbyn soit élu ou non.
« Le Labour doit être un mouvement »
Cet afflux massif de nouvelles têtes redéfinit aussi la nature même du Labour. Tony Blair, dans les années 90, a tenté d’en faire une machine à gagner les élections, quitte à rompre avec un certain nombre de principes fondateurs du travaillisme britannique. Passée l’épreuve du pouvoir et la réalité des compromis réalisés par Tony Blair : guerre en Irak, ouverture à la privatisation du NHS, soutien aux grandes entreprises… les électeurs travaillistes semblent désormais revenir aux fondamentaux. Une étude réalisée pour le parti conservateur et dont The Guardian publie les principaux résultats, 52 % des électeurs qui ont choisi le Labour en mai dernier exigent le respect de principes, quitte à perdre les élections, contre 48 % qui se déclarent prêts à accepter des compromis pour assurer la victoire. Ce mouvement au sein de l’électorat de base travailliste est amplifiée par la volonté d’un certains nombres de candidats au deputy leadership. Ainsi, Stella Creasy a fait une campagne remarquée sur le thème « le Labour doit être un mouvement, pas une machine ». Ce faisant, elle entend remettre l’adhérent au cœur de la dynamique du parti. Quel que soit le leader élu, il profitera aussi de cette dynamique.
Quoi que l’on pense de l’homme et de ses réalisations, il faut reconnaître à Ed Miliband, leader démissionnaire après la défaite travailliste de mai dernier, d’avoir ouvert la voie à ces évolutions. Opposé à la guerre en Irak, cet ancien fidèle de Gordon Brown, rival historique de Tony Blair, a fait campagne en expliquant que l’agenda politique Blairiste était allez trop loin contre la base de classe du parti travailliste. Pour autant, il n’a pas fait siennes les orientations de la gauche du Labour dont Tony Benn reste encore aujourd’hui l’inspiration majeure. Surtout, Ed Miliband est le principal artisan du nouveau système de désignation du leader du parti. Refusant, pour ne pas froisser la droite travailliste, de se lier trop avec les syndicats, il a élaboré le principe « un adhérent une voix » dont la campagne actuelle est la première mise en pratique.
Le futur leader raflera tout
Quel que soit le vainqueur de ce labour leadership, il sera le premier à bénéficier d’un mandat clair de la part des adhérents. Cela va donc peser dans une organisation statutairement partagée en trois : Parliamentary Labour Party, adhérents directs, syndicats affiliés. Les leaders des deux gros blocs, traditionnellement opposés : parlementaires d’un côté et syndicalistes de l’autre, sont désormais au même niveau théorique que l’adhérent d’Aylesbury. Le futur leader, comme l’a annoncé Yvette Cooper, raflera tout. Pour la première fois dans l’histoire du parti travailliste, il aura une légitimité qui lui permettra d’assumer la ligne politique sur laquelle il a été élu. Ed Miliband, qui a été confronté à des remises en cause permanentes notamment de la part des barons du Parliamentary Labour Party, pourra savourer sa victoire, aussi posthume soit-elle.
Mais, finalement, c’est du camp conservateur que vient la meilleure confirmation du caractère irréversible de la mutation qui s’est opérée au sein du Labour en quelques mois. Dans un entretien au New Statesman, l’idéologue tory George Osborne constate que la candidature de Corbyn a « poussé Burnham et Cooper à gauche » : « Ce mouvement à gauche du Labour, opéré en douze mois, a détruit le travail d’une génération (de Neil Kinnock à Tony Blair) ». S’il a raison, pour une part – le succès de la candidature Corbyn a effectivement amené ses concurrents à se repositionner -, Osborne mésestime, évidemment, le poids de la rue dans l’évolution du parti travailliste.
Contrairement à son alter ego français le parti socialiste, le Labour est profondément ancré dans la société britannique, notamment via ses liens organiques avec les organisations syndicales. Il est donc plus perméable aux mouvements de fond qui agitent le Royaume-Uni. Aucun observateur sérieux ne saurait omettre que la candidature Corbyn, arc-boutée sur un discours anti-austérité conséquent, a pris son envol alors que la contestation des politiques austéritaires menées par le couple Cameron-Osborne grandit chaque jour.
C’est à ce moment précis que, ce midi, s’arrêtent les votes pour désigner le futur leader du Labour. Ce scrutin est dit « alternatif ». Les adhérents peuvent voter par ordre de préférence. Si un candidat n’a pas la majorité absolue au premier tour, le concurrent arrivé en dernière position est éliminé. Les bulletins de vote qui lui étaient accordés sont rebalayés et les votes pour la préférence numéro deux reportés sur les candidats encore en lice. Et ainsi de suite jusqu’à ce qu’une majorité absolue soit constatée. Les derniers sondages et les bookmakers tablent, néanmoins, sur une majorité absolue pour Jeremy Corbyn sur l’ensemble des bulletins ouverts.
Nathanaël Uhl
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