Pour Corbyn, le défi de l’équilibrisme dans le cabinet fantôme
A la suite de son élection triomphale samedi 12 septembre, tout commence pour Jeremy Corbyn et son équipe. Après une apparition forte en symbole dans la manifestation de soutien à l’accueil de réfugiés au Royaume-Uni, 3 heures à peine après sa désignation, c’est la constitution de son shadow cabinet, le cabinet fantôme (contre gouvernement) comme le veut le système de Westminster, qui est passée au premier plan.
Le Deputy Leader, le numéro deux du parti, est élu. Par conséquent, Jeremy Corbyn doit composer avec Tom Watson. Remplaçant Jeremy Corbyn sur un plateau télé dimanche 13 septembre, Watson n’a pas tardé à faire entendre sa petite musique, en particulier sur la question du remplacement des missiles Trident ou l’engagement au sein de l’OTAN, sujets sur lequel il souhaite une position claire du parti, après un débat interne.
La constitution du shadow cabinet est un subtil exercice, scruté à la loupe par bon nombre d’observateurs. Jeremy Corbyn a annoncé qu’il ferait appel a des personnalités de toutes les tendances du parti, tout en respectant la parité. Sur le premier point, il s’est conformé à ce qu’il a annoncé lors de son discours d’investiture. Le renouvellement constitue aussi une obligation au regard des démissions de plusieurs membres du shadow cabinet, notamment parmi les blairistes. Des démissions dont l’importance a été immédiatement minorée par Tom Watson, qui a ajouté : « Nous n’aurons aucun problème à les remplacer ».
La première nomination est une confirmation de cet engagement, et un démenti face aux craintes de chasse aux sorcières, craintes exprimées par nombre d’opposants alarmistes. Rosie Winterton conserve le poste hautement stratégique de Chief Whip et va continuer à assumer le rôle ingrat et difficile de maintenir la discipline au sein du groupe parlementaire. La membre du parlement pour la circonscription de Doncaster, ancienne ministre du gouvernement Brown en 2008-2009 aura fort à faire.
Shadow Chancellor : un choix politique pour un poste considéré comme clé. C’est John McDonnell, vétéran de l’aile gauche du parti et chef d’état-major de Jeremy Corbyn lors de sa campagne pour le leadership, qui se retrouve en première ligne. Qui pouvait mieux que lui incarner une ligne politique clairement opposée à l’austérité ? McDonnell s’est par ailleurs employé à expliquer qu’au sein de ce cabinet fantôme new look, le poste de shadow chancelier n’est pas plus important que celui de responsable à l’Education ou à la santé. Il en a profité pour rappeler aux journalistes qui s’inquiètent de sa capacité à honorer le poste qu’il était « chancelier de l’échiquier pour Londres » à 29 ans.
Angela Eagle hérite de Shadow secretary à l’Economie (business et Industrie) et shadow first secretary of state. Dans le premier rôle, elle remplace le blairiste Chuka Umunna, lequel avait annoncé a priori qu’il ne travaillerait pas sous la direction de jeremy Corbyn. Premier dossier brûlant, elle doit mener dès aujourd’hui la bataille du Labour contre les nouvelles lois antisyndicales que présentent les Tories. Sa double casquette lui permet de figurer face à George Osborne en cas d’absence de Jeremy Corbyn et Cameron aux questions au Premier Ministre.
Hilary Benn, proche d’Ed Miliband après avoir été considéré comme blairiste, conserve son poste de secrétaire aux affaires étrangères, un choix consensuel. Il n’en demeure pas moins qu’il sera très sollicité lors des prochains mois sur la question du référendum sur le maintien du Royaume-Uni dans l’Union Européenne. Il a déjà exclu l’idée que le Labour fasse campagne pour la sortie de l’Union . « Jeremy a été très clair : nous allons rester afin de nous battre pour une Europe meilleure. Nous allons faire campagne pour rester au sein de l’Union européenne », a précisé Hilary Benn. Une affirmation qui contredit les propos de Chuka Umunna, qui a avancé un désaccord sur la question européenne pour expliquer son départ du shadow cabinet.
Andy Burnham prend la responsabilité de shadow secretary à l’Intérieur, rôle qu’il a joué sous Tony Blair, y gagnant une réputation de faucon. Sa réputation de girouette ne va pas s’en trouver amoindrie. Après avoir affirmé le contraire, il avait annoncé en off qu’il ne travaillerait pas sous les ordres de Corbyn lequel « allait mener le parti à la catastrophe« . Reste à savoir s’il a mis de l’eau dans son vin sur la question des réfugiés et de l’immigration après avoir été un des tenants du rétablissement des contrôles.
Au shadow Health Secretary (la Santé), Heidi Alexander, soutien d’Andy Burnham, aura à défendre la ligne politique du soutien au système de santé britannique, un des rares sujets qui fasse quasiment consensus au sein du Labour (blairistes exceptés). C’est le choix du sérieux sur ce sujet.
Shadow Justice Secretary : Lord Charles Falconer of Thoroton, ancien ministre de la justice sous Tony Blair, se voit maintenu à son poste. Toujours réputé proche de l’ancien premier ministre, c’est une autre confirmation de la volonté de rassemblement de Jeremy Corbyn.
Seema Malhotra, soutien d’Yvette Cooper, prend la responsabilité de Shadow Chief Secretary to the Treasury (le budget). Nommée par Ed Milliband à la prévention des violences faites aux femmes, la voici à un poste dans lequel naguère furent désignés Gordon Brown, Harriet Harman ou Alistair Darling.
Lucy Powell est chargée du poste de shadow secretary à l’Education. Elue de Manchester et soutien d’Andy Burnham, elle a fait partie du cabinet d’Ed Milliband et avait dirigé sa campagne pour la direction du parti en 2010.
Chris Bryant (soutien d’Yvette Cooper) passe de shadow culture secretary au parliament shadow leader of the Commons. Il a refusé le poste de secrétaire à la défense, en raison de désaccords avec les positions de Jeremy Corbyn, notamment sur le renouvellement du parc de missiles nucléaires trident.
Shadow Secretary of State for Culture, Media and Sport : Michael Dugher (soutien d’Andy Burnham) succède a Chris Bryant. Il était auparavant secrétaire aux transports, et partisan d’un contrôle public du secteur ferroviaire. Ce qui le rapproche du nouveau leader.
Shadow international development secretary : Diane Abbott, représentant de l’aile gauche du parti, après sa campagne pour la candidature à la maire de Londres à l’issue de laquelle elle est arrivée troisième (17 % des suffrages), revient au cabinet. Par la petite porte.
Shadow Scottish secretary : Ian Murray, le seul élu écossais du Labour est maintenu.
Shadow Northern Ireland secretary : Vernon Coaker, soutien d’Yvette Cooper, ancien ministre, revient au poste qu’il occupait en 2011 après un passage à la défense.
Shadow secretary of State for Work And Pensions : Owen Smith. Ce soutien d’Andy Burnham, qui n’a jamais exclu de travailler sous la direction de Jeremy Corbyn, était conseiller spécial du Labour party Gallois. Il passe du secrétariat au pays de Galles au travail et pensions. Un poste sensible alors que le très controversé Welfare bill doit revenir devant la Chambre des communes. Bien vu de la gauche du Labour, il est aussi considéré comme proche des syndicats, ce qui lui sera utile dans son nouveau rôle.
Shadow Secretary Of State for Defence : Maria Eagle (soutien d’Yvette Cooper), connue pour ses positions en faveurs des droits des LGBT.
Shadow Secretary of State for Communities and Local Government, Shadow Minister for the Constitutional Convention : Jon Trickett MP, ancien membre du cabinet sous la direction de Ed Milliband, un des 36 élus qui ont nominé Jeremy Corbyn à la candidature en vue du Labour Leadership. Il aura en charge la question des dévolutions, notamment dans le Nord où la décentralisation fait débat.
Shadow Secretary of State for Energy and Climate Change, Lisa Nandy, élue de Wigan, soutien d’Andy Burnham. Cette syndiquée (Unite – CWU) s’est distinguée par ses prises de position sur les atteintes aux droits de l’Homme en Palestine et contre les contrats « zéro heure ». Elle aura fort à faire quand le gouvernement souhaite passer en force sur la fracturation hydraulique.
Shadow Secretary of State for Transport, Lilian Greenwood élue de Nottingham, syndicaliste, impliquée dans plusieurs campagnes de défense du service public ferroviaire.
Shadow Secretary of State for Wales, élue de Llanelli, soutien de Andy Burnham, Nia Griffith a exercé de nombreuses responsabilités au sein du Labour.
Shadow Secretary of State for Environment, Food and Rural Affairs : c’est l’élue de Bristol, Kerry McCarthy (soutien d’Andy Burnham) qui est nommée. Au parlement, elle se situe dans la ligne du parti, sans faire de vagues.
Shadow Minister for Women and Equalities, Kate Green, élue de Stretford and Urmston (banlieue de Manchester), elle soutenait Yvette Cooper. Syndiquée au GMB, elle est connue pour ses engagements dans des structures féministes (Fawcett Society).
Shadow Minister for Young People and Voter Registration : Gloria De Piero, l’élue d’Ashfield, soutien de Liz Kendall, passe des droits des femmes aux jeunes et aux inscriptions électorales.
Le Shadow Minister for Mental Health, un nouveau poste, revient à l’élue de Liverpool Luciana Berger (elle était secrétaire à la santé auparavant), soutien de Burnham. Corbyn affiche une attention particulière aux questions de santé mentale. C’est aussi un signe fort envoyé à la communauté juive. En effet, Luciana Berger a fait l’objet de plusieurs agressions à caractère antisémite.
Shadow Leader of the House of Lords, Baroness Angela Smith of Basildon, désignée par ses pairs à la chambre des Lords. Lords Chief Whip : Lord Steve Bassam of Brighton, désigné par ses pairs.
Shadow Attorney General, Catherine McKinnell, élue de Newcastle et soutien d’yvette Cooper, elle a travaillé sous la direction de Ed Milliband à plusieurs postes.
Shadow Minister without Portfolio, un poste sans portefeuille pour l’élu de Leicester, Jonathan Ashworth, ancien conseiller de Gordon Brown, soutien d’Yvette Cooper.
Shadow Minister for Housing and Planning; le logement incombe à l’élu de Rotherham, soutien d’Yvette Cooper, John Healey, qui a exercé une bonne demie douzaine de postes au gouvernement de 1999 à 2010.
Yvette Cooper, ancienne Shadow Home secretary, va prendre la direction d’une équipe qui va se consacrer au dossier des réfugiés.
Nombre de voix au sein du Labour se sont exprimées pour regretter qu’aucune femme ne soit nommée à un poste clé (leader, Home, Foreign & Chancellor). Ainsi, Diana Johnson, MP pour Hull North et soutien d’Yvette Cooper, déplore sur twitter : « C’est très décevant : un Labour démodé dominé par des hommes, dans les positions clés du shadow cabinet », en ajoutant le hashtag #notforgirls.
John McDonnell est donc monté au créneau pour tenter d’éteindre la polémique. Il précise que le shadow cabinet est tout de même à parité et que, pour Jeremy Corbyn, il n’y pas de poste plus important qu’un autre. Jeremy Corbyn s’est également exprimé pour donner sa propre philosophie du shadow cabinet. Revenant sur le caractère masculin du « big 4 » (leader, shadow chancelor, shadow Home secretary, shadow Foreign secretary), il a ironisé :
Vous vivez encore au 18e siècle, à l’époque où ces grandes fonctions ont éyté décidées. Nous avons un shadow cabinet avec une majorité de femmes, couvrant tous les aspects de la vie publique et je pense que c’est une belle équipe. Elle concentre toutes les sensibilités du part et je pense que c’est en soi une réussite, si vous me le permettez.
Le shadow cabinet comprend 16 femmes pour 15 hommes quand le gouvernement de David Cameron comprend 20 hommes pour dix femmes. Le shadow cabinet est désormais à pied d’oeuvre. Son premier rendez-vous débute avec la Trade union bill. Le prochain sera la Prime Minister Questions seance, mercredi à l’heure du déjeuner. Corbyn a promis d’en changer le fonctionnement pour lui donner un tour plus collectif et moins guindé.
Silvère Chabot
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Bonus vidéo : Queen Latifah – U.N.I.T.Y