Boxing day : quand la politique prend la balle au bond
Il n’y a pas que le goût de Britanniques pour la jelly que les Français ne comprennent pas. Il y a aussi ce Boxing day : une soirée de championnat de football trois jours après Noël. C’est que, outre-Manche, le football est plus qu’une religion. Les principaux identifiants, avant même la classe sociale, sont l’appartenance religieuse, le pub et le club. Les responsables politiques, y compris de haut rang, n’échappent pas à la règle. Le football est tellement important en Grande-Bretagne que certains se sont inventés un passé de supporter.
C’est le cas pour le premier d’entre les responsables politiques britanniques. David Cameron affecte de soutenir le populaire club d’Aston Villa, à Birmingham. Une manière de soigner un profil proche des gens pour ce garçon issu de la très haute aristocratie. Il est vrai que l’oncle de Cameron, Sir William Dugdale, à l’époque patron du club, a amené le petit David, alors âgé de 13 ans, voir son premier match de Villa. Mais, en 2001, à l’occasion de l’examen d’un projet de loi sur le football, celui qui n’était alors que simple Membre du parlement déclare franchement : « Beaucoup de ceux qui se sont exprimés dans ce débat ou ont écrit sur le sujet sont soit des hommes de loi soit des fans de foot. Je confesse être ni l’un ni l’autre ».
Autre faute de goût majeure, mais assumée celle-ci puisqu’il déclare ne pas avoir beaucoup de goût pour le football, le maire de Londres, le tory Boris Johnson, botte en touche en supportant « tous les clubs de Londres ». Vu leur nombre, une vie n’y suffirait pas. A sa décharge, Bo Jo est beaucoup plus versé dans le ballon ovale. De son côté, l’ancien premier ministre Tony Blair affecte d’être un fan de Newcastle, membre de la « Toon Army », les supporters hardcore des blancs et noirs. Il a raconté avoir regardé Jackie Milburn jouer à Saint James Park mais l’histoire était finalement un joli mensonge.
Autre ancien premier ministre, John Major n’a jamais caché son goût prononcé pour le cricket. Mais les témoignages concordent : le successeur de Margaret Thatcher est incontestablement un supporter du Chelsea Football Club, un engagement qu’il partage avec l’écrivain populiste de gauche John King, auteur de Football Factory.
Dans la série des affichages nécessaires, le « nerd » Ed Miliband n’a pas caché son goût pour le baseball et le football américain, probable reliquat de son année passée aux Etats-Unis. L’ancien leader travailliste, battu aux élections générales de mai 2015, a tenté de sauver la face en se déclarant « fan non pratiquant » de Leeds United. Les mauvaises langues expliquent ce choix par son mandat de Membre du parlement pour Doncaster-North.
En revanche, son rival de frère, David, assume totalement son engagement en faveur d’Arsenal. Il a poussé l’amour du ballon rond jusqu’à être vice-président et directeur non exécutif du club de Sunderland. Une position qu’il quitte avec fracas en 2013 lorsque le board engage comme entraineur un Paolo Di Canio, ouvertement fasciste.
Arsenal, c’est aussi le club de cœur de l’actuel leader du parti travailliste Jeremy Corbyn. S’il oublie parfois d’assister aux matches de l’équipe d’Angleterre en rugby, le membre du parlement pour Islington-North (circonscription où est situé le stade historique du club révéré par l’écrivain Nick Hornby) tâche de rater le moins de matches possible de son équipe de cœur. A l’issue du derby avec l’adversaire honni d’Arsenal, Totenham Hotspurs, Corbyn a été pris à partie par un supporter des Spurs qui l’a supplié de gagner les élections générales de 2020. Ce 29 décembre 2015, Arsenal est leader du championnat anglais.
Quand on parle de football et de politique, au Royaume-Uni, difficile de ne pas évoquer la « diva » Andy Burnham. Joueur lui même, ce natif du Nord a choisi Everton face au mythique Liverpool FC. Mais il est connu pour son engagement sans faille pour qu’une commission d’enquête sur le drame d’Hillsborough, qui a vu la mort tragique de 96 fans du LFC, soit constituée et fasse la lumière sur les circonstances de cette catastrophe qui a marqué la grande ville du nord de l’Angleterre.
Du côté de la gauche plus radicale, on n’échappe pas au football. Pas question de parler de « nouvel opium du peuple » pour l’ancien Membre du parlement et fondateur de Respect, George Galloway. Supporter hardcore du Celtic (Glasgow, évidemment), cette figure aussi emblématique que controversée de la gauche britannique a même écrit un livre sur Neil Lennon, milieu de terrain emblématique puis entraîneur du club le plus populaire de la capitale de fait de l’Ecosse. Neil Lennon, d’origine irlandaise, était de confession catholique et aussi connu pour son engagement politique, ce qui a nui à sa carrière internationale.
Côté conservateurs, Sebastian Coe, ancien champion d’athlétisme, affiche son amour pour Chelsea. Coe et son ami Steve Redgrave se seraient même engagés à offrir leurs sept médailles olympiques pour voir les Blues remporter le titre en 2012. Ils ont pu garder leurs récompenses. Iain Duncan Smith, Secretary for Work and Pensions, est abonné de très longue date de White Hart Lane, le stade des Spurs. Chancelier de l’Echiquier, George Osborne a surpris tout le monde en avouant, en 2012, soutenir les Blues de Chelsea. L’ancien vice-premier ministre et ex leader des Lib-Dem, Nick Clegg affirme sa passion pour Arsenal. En 2013, lorsque le club d’Arsène Wenger a perdu en championsleague face au Bayern, il a déclaré avoir « le cœur brisé ».
Il n’est pas que les hommes qui vouent une passion au football. Ainsi, l’ancienne actrice et membre du parlement Glenda Jackson, soutien de l’ancien maire travailliste de Londres « Red » Ken Livingston, est une ardente supportrice du très peu glamour club des Tranmere Rovers. Autre membre du Parlement, élue de Manchester Central pour le Labour, Lucy Powell a le cœur qui bat pour Manchester City, le club des prolos et des rockeurs mancuniens. Leader des Greens, Natalie Bennett, bien qu’ayant joué comme gardienne de but dans sa jeunesse, souhaite pour sa part qu’on « arrête de considérer la politique comme un match de foot ». Enfin, la première ministre écossaise, Nicola Sturgeon, ne manque pas une occasion de soutenir le club d’Ayr United, une passion qui lui vient, comme souvent, de son père.
Il ne serait pas possible de finir ce tour d’horizon sans évoquer deux autres grandes personnalités politiques intimement liées au football. Ancien premier ministre travailliste après avoir été le rival et allié de Tony Blair, l’Ecossais Gordon Brown a déclaré, très jeune, sa flamme au modeste club des Raith Rovers. Il en est toujours un des actionnaires. Une histoire veut qu’il ait poussé son rôle jusqu’à, alors Chancelier de l’Echiquier, négocier un contrat avec un joueur, la nuit sur un parking. Quand son conseiller en communication lui rapporte qu’un journaliste a l’information, la seule réaction de Brown demeure « est-ce qu’il a des photos ? ».
Mais c’est pour Ed Balls, ancien Membre du parlement travailliste et mari d’Yvette Cooper, que le père Noël a été le plus attentif cette année. Fan absolu de Norwich City, Ed a été choisi comme président du board et directeur non-exécutif de son club de cœur lundi 28 décembre. Un poste de ministre n’aurait pas fait plus plaisir à Ed.
Nathanaël Uhl