Référendum : 50 nuances de gauche ?
Dans un contexte où les conservateurs et l’extrême-droite eurosceptiques dominent les débats, la gauche britannique se positionne majoritairement en faveur du maintien du Royaume-Uni au sein de l’Union Européenne. Mais cette position masque de nombreuses nuances au sein du camp du maintien. En marge, le non, minoritaire, s’organise et rencontre un écho.
Le Labour, le principal parti de gauche, se trouve dans une position relativement inconfortable. Difficile de faire campagne dans un référendum dicté par l’agenda conservateur, le parti s’est rallié tardivement à l’idée d’organiser cette consultation. S’il avait emporté les élections générales de 2015, ce référendum ne se serait pas tenu.
Sur les 232 Membres du Parlement travaillistes, seuls 8 d’entre eux sont favorables à la sortie. Jeremy Corbyn, et la direction du Labour, sont favorables au maintien. Cela dit, Jeremy Corbyn laisse Alan Johnson mener la campagne du référendum, tandis qu’il concentre ses attaques sur le fait que David Cameron ne défend pas les intérêts des travailleurs britanniques au sein de l’Union Européenne. Compte tenu de ses positions eurosceptiques de gauche passées sur l’Europe, c’est le choix le plus évident pour éviter de raviver les tensions au sein du parti. Mais il ne cache pas que la priorité de son agenda c’est la lutte contre l’austérité mise en oeuvre par le gouvernement.
Avec des nuances, l’aile droite, Blairiste ou Brownite, est fermement pour le maintien. Gordon Brown explique que c’est le « geste le plus patriotique qui soit ». Le dernier premier ministre Labour en date affûte ses arguments essentiellement sur des aspects économiques, rappelant que 40 % des exportations du Royaume Uni vont en Allemagne, en France et dans les pays de l’Union alors que la Chine ne pèse que 4.5 % et l’Inde 1.5 %. Il insiste également sur le fait que 3 millions d’emplois britanniques dépendent de l’Europe.
Pour le registre social, ce sont les directions des syndicats qui mènent campagne sur le sujet. Unite insiste sur les droits sociaux acquis grâce à l’intégration dans l’Union Européenne. Au regard de la législation sociale britannique, les maigres avancées offertes par l’Union européenne aux salariés apparaissent aux Trade unions comme un eldorado. Pour autant, les directions syndicales ne cachent pas leurs préoccupations. Elles se sont interrogées publiquement sur les dérives anti-sociales de l’Union Européenne ces dernières années. D’ailleurs, la secrétaire générale des TUC, Frances O’Grady, a averti que le renforcement des protections à destination des salariés mais aussi la création d’emplois décents sont essentiels pour convaincre les salariés du Royaume-Uni de voter pour le maintien. Dans l’état, difficile de convaincre les métallos des vertus protectrices de l’Europe…
Un oui plus critique existe aussi au sein du Labour, avec pour vitrine la plateforme Another Europe Is Possible, qui mène campagne pour le maintien tout en exigeant une Europe sociale. On y retrouve des proches de Jeremy Corbyn, dont les Membres du Parlement Cat Smith et Clive Lewis ; des dirigeants du Green Party dont la Membre du Parlement Caroline Lucas ; des syndicalistes et Left Unity, seule organisation significative au sein de la gauche radicale à prendre position en faveur du maintien.
Du côté du Green Party, c’est donc oui au maintien sans équivoque, dans le cadre d’un soutien critique. Le parti écolo défend une plateforme en faveur d’une Europe qui favorise les droits sociaux et environnementaux.
Dans la sphère nationaliste de gauche, les trois partis membres de European Free Alliance sont en faveur du maintien. Le premier d’entre eux, le Scottish National Party, s’exprime officiellement d’une seule voix. D’ailleurs tous ses représentants au parlement se sont prononcés pour le maintien. Mais le débat s’est ouvert sur l' »opportunité » que représenterait une éventuelle sortie en cas de vote majoritaire en juin. Pour la direction du SNP, un tel cas de figure ouvrirait forcément la voix à un second référendum sur l’indépendance de l’Ecosse. Peu importe que David Cameron ait plusieurs fois répondu qu’une telle option n’était pas envisageable.
Plusieurs voix se sont faites entendre au sein du SNP pour juger la stratégie « hasardeuse ». Il en va ainsi de l’ancien leader du parti, Gordon Wilson, ainsi que de Kevin Pringle, ancien conseiller de Alex Salmond. Pour ce dernier, si le référendum acte la sortie, l’Ecosse pourrait devenir indépendante et réintégrer l’Europe dans les deux ans. Nicola Sturgeon intervient systématiquement pour souligner que tout résultat en faveur de la sortie ne pourrait que déclencher une nouvelle consultation sur l’indépendance.
Au pays de Galles, le Plaid Cymru est fermement en faveur du maintien dans l’Union Européenne. De son point de vue, sans elle, la situation économique et sociale au Pays de Galles serait encore pire. Le parti rappelle que le Pays de Galles ne peut que compter sur l’aide européenne aux communautés les plus pauvres des vallées et de l’ouest, que le gouvernement conservateur a délibérément abandonnées.
Même son de cloche du côté des Cornouailles. Mais le Mebyon Kernow (The Party For Cornwall) émet des critiques sur la bureaucratie antidémocratique de Bruxelles, et fait campagne pour plus de transparence et de démocratie dans l’Union Européenne. Il réclame également une plus grande représentation pour les Cornouailles.
En Irlande du Nord, le Socialist And Democratic Labour Party est clair, il est selon lui « vital que le parti mène une campagne forte et positive en faveur du maintien ». Il appelle les leader des Green, et du Sinn Féin à faire tout leur possible pour cela.
Le Sinn Fein lui, estime qu’ « il est clair que la place de l’Irlande est en Europe, et le dossier de la sortie britannique de l’Europe est dirigé par un agenda isolationniste en lien avec les divisions internes aux conservateurs anglais, cela n’a aucun rapport avec les intérêts des marchés, des agriculteurs et des travailleurs du nord de l’Irlande ».
Le camp de la sortie
La difficulté majeure pour les partisans de la sortie, c’est de se voir associés à l’extrème droite. L’enjeu consiste donc à se distinguer par un argumentaire anti-austérité que ne porte pas UKIP pour ne citer que cette organisation. On y retrouve une poignée de Membres du Parlement du Labour : 8 d’entre eux se sont prononcés pour la sortie de l’Union Européenne. Kate Hoey, élue de Vauxhall, ne ménage pas sa peine pour faire émerger un non de gauche, contre l’Europe de Bruxelles. Son engagement ne date pas d’hier, elle réclamait en 1992 un référendum sur le traité de Maastricht. Elle déplore la perte de souveraineté, les menaces contre les services publics et une Europe antidémocratique. Elle souligne que la privatisation de la poste, l’impossibilité de nationaliser le rail britannique sont le fruit des politiques menées par l’Union Européenne. Et ce qu’ont fait la troika et le FMI en Grèce n’incite pas à imaginer qu’on puisse changer les choses de l’intérieur.
L’élu de Leicester Kelvin Hopkins, soutien de Jeremy Corbyn, se dit fidèle à la ligne de gauche du parti autrefois incarnée par Tony Benn qui critiquait sévèrement l’Union européenne. Il intervient auprès de la coalition des syndicalistes contre l’Union Européenne. Cette fraction rappelle à Jeremy Corbyn qu’il n’y a pas si longtemps il n’était pas éloigné de leur position. Leave.EU lâche aussi quelques peaux de banane contre le leader du Labour en citant des extraits de ses prises de positions notamment dans la période 1992-1993.
Respect, avec à sa tête Georges Galloway, mène depuis peu campagne tambour battant pour la sortie, on peut s’interroger sur sa capacité à gérer en même temps les élections locales à Londres où il se présente comme candidat à la mairie. Il n’a pas de scrupules à débattre avec Nigel Farage ou a partager l’estrade avec lui en réunion publique. De son point de vue, Jeremy Corbyn est pris en otage par le Labour sur les questions européennes et doit mettre sous silence ses appréhensions sur les droits des travailleurs pour apaiser le climat dans le parti.
Enfin, une coalition No2EU formée par des syndicalistes du RMT, des militants communistes et de la gauche radicale opte également pour la sortie de l’Europe des banques et des patrons. Avec le soutien de la Trade Unionist and Socialist Coalition, principal regroupement de la gauche radicale, qui s’est également positionné pour la sortie de l’Union Européenne. C’est, selon eux, une manière de mener également campagne contre le traité transatlantique en cours de négociation à Bruxelles, et de voter contre l’austérité.
Au final, la gauche britannique, qu’elle soit politique ou sociale, est elle aussi coupée en deux. Même si la nature des affrontements, de ce côté-ci de l’échiquier, n’a rien à voir avec la violence du Tory civil war déclenché par l’apprenti sorcier David Cameron. Au final, il n’y a que le grand patronat britannique pour se présenter sur une position unique sur la question européenne.
Silvère Chabot
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Bonus vidéo : Europe – The Final Countdown