Elections locales : le Labour de Corbyn déjoue les Cassandre
Le parti travailliste est bien en convalescence. Le parti dirigé, depuis septembre 2015, par Jeremy Corbyn, issu de l’aile gauche du Labour, était au centre des scrutins qui se sont déroulés jeudi 5 mai en Grande-Bretagne. Premier test pour un leader élu il y a 8 mois et sous le feu des critiques issues de son propre camp, les élections locales, avec des résultats contrastés, lui ouvrent, comme nous l’avions annoncé, une période de répit. Les travaillistes conservent la direction du gouvernement du Pays-de-Galles, sont balayés en Ecosse mais se tiennent mieux qu’annoncé en Angleterre. Le travailliste Sadiq Khan est élu maire de Londres, succédant au conservateur Boris Johnson.
Avec des pertes inférieures à 20 sièges, le parti travailliste résiste bien mieux que prévu au renouvellement d’un tiers des sièges de conseillers locaux en Angleterre. En arrachant le siège de Bristol à un indépendant, le Labour s’adjuge les quatre maires élus au suffrage direct. C’est une réelle performance pour un parti que les bookmakers donnaient autour de 225 sièges perdus à 5 contre 2. En pourcentage, le Labour, avec une hausse de 4 %, passe devant les conservateurs, qui enregistrent une baisse équivalente, sanctionnant les désillusions provoquées par la politique conservatrice.
Le parti eurosceptique et de plus en plus xénophobe UKIP continue sa progression régulière, remplaçant les tories dans un certain nombre de conseils et attirant une partie de l’électorat ouvrier blanc traditionnellement favorable aux travaillistes. Rappelons que la structuration sociale britannique fait la part belle aux communautés ethniques et religieuses.
Londres, victoire prévisible du Labour
C’est bien dans ce contexte qu’il faut comprendre pourquoi Sadiq Khan, élu maire travailliste de Londres, est présenté comme musulman. Ce fils d’un chauffeur de bus pakistanais et d’une couturière, né et grandit dans l’ensemble d’habitat social public Henry Prince, a su faire partager sa volonté d’un Londres pour tous. Si les instituts de sondage ont observé une prudence certaine et se sont gardé de toute annonce tonitruante, les conservateurs eux ont acté la défaite de leur candidat : le millionnaire porphyrogénète Zac Goldsmith. Les tories londoniens l’accusent d’avoir mené une campagne négative, axée sur les liens supposés de Sadiq Khan avec les milieux islamistes. Oubliant qu’il a bénéficié du soutien de l’imam radical sensé incarné la connivence du Labour avec les musulmans radicaux.
A l’inverse, le travailliste a travaillé à « réconcilier les Londoniens avec Londres« , se fixant comme objectif de réduire la fracture sociale exacerbée par les 8 ans de mandats de Boris Johnson. Ce dernier, comme le fait Cameron à la tête, a approfondi le fossé entre les riches et les pauvres dans la capitale britannique, qui recense aujourd’hui un nombre record de milliardaires. Et où le prix moyen d’une habitation est de 446,000 livres. Le fils du peuple Sadiq Khan a bénéficié du rejet de la politique gouvernementale dans une ville dont 45 des 73 constituencies (les circonscriptions parlementaires) sont tenues par le Labour.
En Angleterre, les travaillistes résistent bien
Il est vrai que le gouvernement de Cameron a enchaîné les faux pas. Plusieurs de ses projets, parmi les plus impopulaires, ont été retoqués, sans que le désamour des Britanniques pour les Tories n’en soit minoré. Dans la dernière semaine de campagne, les travaillistes ont modifié leur approche. Ils ont appelé les électeurs à utiliser le bulletin de vote Labour pour « envoyer un message à Cameron ». En Angleterre, le message semble être passé. Pourtant, les travaillistes, que le scrutin précédent avait placés en situation de force, ne pouvait décemment s’attendre qu’à des pertes. Ainsi, sur 34 metropolitan mayorals, les plus grandes villes, il en détenait 32… De même, il disposait de deux des quatre maires élus directement par les citoyens.
A l’heure de la publication des résultats officiels, le Labour déplore la perte de 17 sièges alors que les prévisions tablaient sur 200 à 250 sièges en moins. Il conserve l’essentiel de ses bastions. Y compris dans le Sud de l’Angleterre, une région qui ne lui est pourtant pas favorable.
C’est dans cette partie du Royaume-Uni, où les swing voters (les électeurs qui changent de vote selon les scrutins) sont nombreux que Corbyn était attendu. Ses opposants doutaient de la capacité de son discours, ancré à gauche, de fidéliser cet électorat sensible. Ils annonçaient déjà que le choix du nouveau leader du parti de critiquer l’austérité allait éloigner une frange de votants plus sensibles à un récit centriste. En conservant ses positions à Southampton, Crawley et Hastings, Corbyn a déjoué le récit blairiste.
Cerise sur le gâteau travailliste : Marvin Rees arrache le siège de maire de Bristol au sortant, un indépendant. Le Labour dirige désormais les quatre villes anglaises dont le maire est élu directement par les citoyens : Bristol, Liverpool, Londres et Salford. Il devrait prendre facilement le fauteuil de maire du greater Manchester qui sera soumis au scrutin en 2017, dans le cadre d’une devolution au Nord de l’Angleterre. Andy Burnham est pressenti pour le poste.
Pour autant, le malade Labour n’est pas encore sorti d’affaire. Dans le nord du pays, les points qu’il perd vont, pour beaucoup, vers les eurosceptiques de UKIP qui progressent avec régularité, confortant leur position d’opposants aux travaillistes devant des Tories en recul.
Alerte pour le Labour au Pays-de-Galles
Au Pays-de-Galles, les conservateurs paient le prix fort de leur incapacité à gérer la crise de l’acier. Et UKIP fait une entrée remarquée à l’Assemblée nationale galloise avec six élus, à cette heure. Les travaillistes reculent d’un siège mais devraient conserver la direction du gouvernement gallois, soit de manière minoritaire soit en alliance. Les nationalistes de gauche Plaid Cymru renouent avec les victoires électorales. Leur charismatique leader, Leanne Wood, a battu un ministre régional travailliste sur un duel.
Premier ministre et leader des travaillistes gallois sortant, Carwyn Jones a expliqué les reculs de sa formation par les dissensions internes au Labour et notamment au Parliamentary Labour Party. Cela ne suffira pas sur la durée. S’étant toujours considéré comme dans son fief, le Welsh Labour n’a pas été en capacité de prendre en compte les nouvelles aspirations d’une population qui souffre, certes, de la politique conservatrice mais aspire aussi au renouvellement de sa représentation politique.
En Ecosse, les nationalistes achèvent de remplacer les travaillistes
Une situation qui a fini par entraîner le Labour écossais dans les limbes. Alors que les travaillistes considéraient, il y a encore dix ans, l’Ecosse comme un bastion inexpugnable, ils viennent de concéder leur troisième défaite consécutive. S’ils restent, en pourcentage et malgré une perte de près de dix points, la deuxième force politique écossaise, au parlement régional, ils sont désormais devancés par des conservateurs menés par la populaire Ruth Davidson. Les Scottish Tories enregistrent un gain de 16 sièges au parlement d’Holyrood.
Avec une perte de 6 sièges et ne parvenant pas à passer la barre symbolique de 50% des voix, le Scottish national party (SNP, nationalistes de gauche) a atteint son summum. Le parti dirigé par Nicola Sturgeon enchaîne une troisième victoire au parlement écossais mais rate la majorité absolue. C’est un vrai coup d’arrêt. Les gains ne compensent pas tout à fait les défaites et masquent mal que des circonscriptions clé ont basculé qui aux Libéraux-démocrates qui aux conservateurs. Nicola Sturgeon remporte son premier succès en tant que leader du SNP. Mais elle doit, désormais, se préparer à freiner l’usure inhérente à l’exercice du pouvoir. Pour l’heure, elle peut savourer son bonheur : dans l’électorat de gauche, le SNP a remplacé le Labour.
Restent les résultats de l’élection à l’assemblée législative d’Irlande du Nord. Ils seront connus samedi 7 mai. Le principal enjeu, alors que les accords de paix prévoient un partage du pouvoir entre catholiques et protestants, reste de savoir si le Sinn Féin, profitant de la poussée démographique de la communauté catholique, peut prétendre au poste de Premier ministre. Chez les unionistes protestants, le Democratic Unionist Party (DUP), majoritaire, a mené son « project fear » pour mobiliser, à son profit, son électorat face à la « menace catholique« .
Au final, le paysage politique britannique global sort pratiquement inchangé de ce premier scrutin après la victoire surprise de David Cameron aux élections générales il y a tout juste un an. La victoire présumée du travailliste Sadiq Khan à Londres était actée dans la plupart des états-majors. Pour le leader du Labour, il devient, en revanche, urgent de passer à la vitesse supérieure. Il doit faire vivre l’analyse selon laquelle son programme très marqué à gauche n’est pas un repoussoir électoral. C’est ce à quoi s’est employé le membre du parlement John Tricket, coordinateur de la campagne du Labour pour cette séquence électorale. Dans une note, il résume :
« Le rôle du Labour sous la direction de Jeremy Corbyn est bien de continuer à reconstruire la confiance, restaurer l’espoir et poser les fondations pour une alternance politique et une Grande-Bretagne meilleure dès 2020. »
L’aile droite travailliste n’entend pas lui faciliter la tâche sur ce sujet même si elle a acté que Corbyn est bien là pour durer.
Silvère Chabot et Nathanaël Uhl
Bonus vidéo : The Bee Gees – Staying Alive