Un « Queen’s speech » funambule pour Cameron sur la corde raide
Faire oublier son annus horribilis. C’est l’objectif d’un David Cameron, tout entier tourné vers son avenir personnel. Ce mercredi 18 mai, le rituel Queen’s speech a ainsi évité tous les sujets qui fâchent à quelques semaines du référendum de tous les dangers pour le Premier ministre britannique. Marqué par plusieurs échecs lors de sa première année de mandat, alors qu’il dispose enfin d’une majorité absolue à la chambre des communes, le leader conservateur a taché de renouer avec son image de « conservatisme compatissant ». Il a mis, dans la bouche de la Reine, une série de réformes à caractère social pour tenter de faire oublier les coupes drastiques qui caractérisent les deux budgets présentés par son gouvernement.
Le Queen’s speech se déroule chaque année en ouverture de la session parlementaire. Il constitue le dernier symbole rappelant que la Grande-Bretagne est une monarchie parlementaire avec un souverain en son parlement. Court, entouré d’un apparat suranné, il a vu, ce 18 mai à 116h, Elizabeth II lire le 63e discours préparé pour elle par les membres du gouvernement et les hauts fonctionnaires puis validé par le premier ministre.
Seule dérogation à la règle, la monarque, pour la première fois et après avoir célébré ses 90 ans il y a un mois, n’a pas gravi les 26 degrés de l’escalier royal mais a pris l’ascenseur pour rallier la chambre des Lords où elle se doit de prononcer, assise sur le trône, son discours. Le rituel a été suivi jusqu’au moindre détail : le travailliste Dennis Skinner a, une fois encore, rompu le cérémonial pour adresser à Cameron un sonore « bas les pattes sur la BBC », allusion aux tentatives tories pour briser le groupe de télé et radio public, lequel diffusait en direct le Queen’s speech.
Le discours a été marqué par l’énumération des 21 projets de loi que le gouvernement devra mener cette année. Orienté vers le social, il fait de la réforme des prisons sa pierre angulaire. La généralisation des academies en lieu et place des écoles publiques, qui devait y figurer, a été passée aux oubliettes. C’est une révolte des backbenchers conserateurs qui a contraint le premier ministre à reculer sur un de ses engagements de campagne. Cette défaite de Cameron a marqué l’ensemble du Queen’s speech 2016, bien moins marqué idéologiquement que le précédent. Ancien secrétaire d’État au travail et aux pensions, Iain Duncan-Smith a moqué le premier ministre qu’il accuse de « mettre de côté les sujets qui fâchent pour éviter d’être battu lors du référendum » sur le maintien ou la sortie de l’Union européenne.
Assurément, Cameron tente aussi de corriger son image. En reprenant le thème du « conservatisme compassionnel », il veut faire oublier qu’il est le premier ministre de l’austérité, dans la droite ligne de Margaret Thatcher. C’est ainsi que sa réforme des prisons s’inscrit dans la tradition libérale britannique avec des autorisations de sortie pour les détenus, l’accès à Skype et des mesures préparant leur réinsertion dans la société. Des mesures jugées positivement par les ONG mais qui, précisent-elles, pourraient rester lettre morte sans moyens financiers à la hauteur.
Au titre des mesures attendues, une modification de la fiscalité sur les entreprises. Désormais, dans le cadre d’une devolution approfondie – le Northern power house -, les grandes villes et agglomérations (mayorals, telles que Liverpool, Manchester ou Bristol, entre autres) pourront en fixer les taux. Dans le même ordre d’idées et comme c’est le cas à Londres, les exécutifs locaux des grandes villes devraient récupérer l’organisation des transports urbains sur leur territoire. Enfin, une loi devra renforcer les pouvoirs dévolus à l’assemblée nationale du Pays-de-Galles.
Ces mesures n’ont pas été jugées satisfaisantes par l’opposition. Jeremy Corbyn, le leader travailliste, a relevé que le gouvernement ne prenait pas d’engagements sur les questions clés que constituent le logement et les infrastructures. Le chef du Labour a également taclé Cameron sur la révision du Human Rights act. Certes, le Queen’s speech promet une version allégée de cette révision au profit d’un British Bill of Rights. Mais, faisant le lien avec le débat européen, Corbyn a souhaité que la hiérarchie des normes, qui place la Cour européenne des droits de l’Homme et donc le Human Rights act en haut de cette hiérarchie, soit maintenue.
Même si Cameron a, sur ce sujet aussi, commencé à accorder des concessions, ainsi que l’a souligné le leader Lib-Dem Tim Farron, pas sûr qu’il accède aux demandes de son opposition. Alors que la guerre civile fait rage chez les tories, le premier ministre doit continuer à amadouer les eurosceptiques de son camp. Le numéro d’équilibrisme n’est pas prêt de s’arrêter.
Silvère Chabot