Brexit : au Labour, pendant le référendum, la guerre continue
L’image du jour sera sans conteste possible la tribune qu’occupent, ce jeudi 16 juin, deux figures quasi antinomiques du parti travailliste : l’actuel shadow chancelier de l’échiquier, John McDonnell, et l’ancien ministre des finances de Tony Blair, Gordon Brown. Les deux hommes s’opposent sur presque tout mais ils partagent l’affiche d’un meeting pour le maintien du Royaume-Uni au sein de l’Union européenne. Signe qu’il y a le feu à tous les étages de la maison Labour. Et pour cause : un nouveau sondage donne le camp de la sortie vainqueur avec 53% des intentions de vote le 23 juin prochain à l’occasion du référendum initié par David Cameron. A l’heure actuelle, les travaillistes ne semblent pas avoir réussi à convaincre leurs électeurs de choisir le camp du maintien.
Ce n’est pas faute d’avoir multiplié les initiatives de terrain. Les deux principales figures du parti : son leader Jeremy Corbyn et le deputy leader Tom Watson, se démènent comme des diables depuis plusieurs semaines pour tenter d’inverser une tendance lourde. Dans les bastions ouvriers du nord de l’Angleterre mais aussi du Pays de Galles, les électeurs travaillistes semblent glisser vers le camp du Brexit. Depuis le début de l’année, les Greens avaient tiré la sonnette d’alarme : faute d’une campagne offensive, le Labour prenait le risque de voir ses bases faire du somnambulisme vers la sortie.
Dans un premier temps, le Labour a repris à son compte, et de façon convaincue, l’argument des syndicats : les droits sociaux des travailleurs seront mieux défendus dans l’Union européenne qu’en dehors. Il s’agissait pour les travaillistes de proposer une « défense positive » de l’Europe. Elle offrait un souffle d’air face aux campagnes conservatrices, des deux camps, arc-boutées sur les questions de l’économie et de l’immigration. Las, elle n’a pas trouvé d’écho alors que la cote de popularité de David Cameron, principal héraut du camp du maintien et premier ministre controversé, s’effondre.
De fait, le référendum pour ou contre le maintien du Royaume-Uni dans l’Union européenne semble désormais avoir changé d’objet. Alimenté par la guerre civile entre conservateurs, il prend désormais l’allure d’un référendum pour (camp du maintien) ou contre (camp du Brexit) le Premier ministre. Et le chantage à la hausse des impôts exercé ces derniers jours par le chancelier de l’Echiquier en titre, George Osborne, n’arrange les affaires de personnes.
La campagne travailliste pour le maintien dans le Royaume-Uni connaît donc, ces dix derniers jours, une inflexion. Le Labour annonce une nouvelle attaque sur les droits des travailleurs menée par les conservateurs en cas de victoire du Brexit. Ainsi, John McDonnell, chef de file de la gauche travailliste, a martelé ces derniers jours :
« En cas de Brexit conservateur, il y a une forte probabilité de nouvelles coupes budgétaires sous l’égide des Tories. Comme nous savons tous que c’est le cas quand les conservateurs dirigent le Trésor. Ces coupes, ces mesures d’austérité, ont pour but de mener à bien leurs objectifs fiscaux. Au lendemain du référendum, nous aurons toujours un gouvernement conservateur ! Ce sera toujours un gouvernement qui avancera vers plus d’austérité, décidé à couper dans les budgets d’abord et à réfléchir après ! »
Cette modification de la stratégie travailliste répond aussi au fait que le camp du Brexit concentre ses efforts sur l’électorat ouvrier des anciens bastions industriels et travaillistes. C’est d’ailleurs là, à Manchester, au cœur de ces régions oubliées par les conservateurs, que McDonnell et Brown vont s’exprimer et défendre la cause de l’Union européenne qui, selon eux, permettra d’offrir une perspective aux Britanniques, en premier lieu ceux qui souffrent le plus des mesures du gouvernement de Cameron.
Le camp du maintien de gauche a été affaibli ces dix derniers jours. Plusieurs membres du parlement ont basculé vers la sortie. Parmi eux, Dennis Skinner, une des figures de la gauche travailliste, a officialisé son choix en faveur du Brexit dans les colonnes du Morning Star. Pour Corbyn et McDonnell, dont Skinner est proche, c’est un coup dur. Car c’est leur sensibilité qui fait défaut, au regard des commentateurs…
Le leader du parti travailliste a multiplié les gestes d’unité et appelé à amplifier la mobilisation. Mardi 14 juin, c’est tout le shadow cabinet qui a posé pour offrir une belle image d’unité. Mais, dans le dos de bon nombre de ces membres du parlement, les couteaux sont déjà sortis. Le brexit, s’il devait advenir, affaiblirait considérablement Corbyn. L’aile droite du Labour ne cache pas que, si la Grande-Bretagne venait à quitter l’Union européenne, ils disposaient déjà d’un responsable : Corbyn en personne. Et qu’ils chercheront à lui faire payer.
En parallèle, Tom Watson, deputy leader, sans qui rien ne pourra se faire, travaille sa stature et sa capacité à rassembler. Clairement, au Labour, pendant le référendum, la guerre interne continue.
Nathanaël Uhl
Bonus video : Christine – Howling Wave