Ce que l’assassinat de Jo Cox nous dit de la politique britannique et des médias
Le monde politique britannique est en émoi. Le meurtre de la membre du Parlement Jo Cox questionne la manière britannique d’animer la vie publique. La campagne référendaire pour ou contre le maintien du Royaume-Uni au sein de l’Union européenne a été marquée par bien des dérapages. Or, chacun le sait, certains mots autorisent bien des actes. Les politiques ne sont pourtant pas les seuls à devoir se remettre en cause. La presse britannique, notamment les tabloids, portent également une responsabilité dans la dégradation du climat autour des représentants dont les citoyens se sont dotés.
Certes, l’agression physique reste rare en Grande-Bretagne. Avant l’assassinat de Jo Cox par Tommy Mair, un homme proche des thèses de l’extrême-droite et connu pour des troubles mentaux, un autre membre du parlement avait été attaqué. Il y a six ans de cela, Stephen Timms, élu pour West Ham, avait été agressé au sabre par une jeune femme, en raison de son soutien à l’intervention militaire en Irak.
Les agressions verbales et le harcèlement, en revanche, sont monnaie courante au Royaume-Uni. Selon une enquête menée auprès des membres du Parlement et à laquelle 239 ont accepté de répondre, 192 parlementaires ont fait l’expérience de comportements intrusifs ou agressifs. Selon l’enquête, 43 parlementaires estiment avoir soumis à des attaques ou à des tentatives d’attaque ; 101 affirment avoir reçu des menaces physiques. La moitié estime avoir fait l’objet de harcèlement, ce terme étant défini comme un comportement qui a duré pendant deux semaines ou plus et ayant généré de la peur.
L’enquête autour du meurtre de Jo Cox fait apparaître qu’elle aurait reçu, depuis plusieurs mois, des courriers électroniques menaçants. Certains d’entre-eux ont amené, par leur caractère malveillant, la membre du parlement pour Batley et Spen, près de Leeds, à porter plainte auprès des services de police. Un homme avait été arrêté puis relâché sous caution. Il n’aurait aucun rapport avec l’assassinat dont la mère de deux enfants a été victime.
Si ce harceleur n’est pas passé à l’acte, Tommy Mair, lui, semble ne pas avoir hésité. S’il bénéficie de la présomption d’innocence, il est le principal suspect du meurtre. En matière de harcèlement, la membre du parlement Jess Philips en connaît un rayon. Elle affirme avoir reçu plus de 600 menaces de viol par twitter après avoir dénoncé l’existence d’une journée des hommes à la Chambre des communes.
En Grande-Bretagne, le débat politique est vif et les attaques ad hominem monnaie courante. La campagne référendaire a été l’occasion de plus d’un franchissement de ligne jaune. Ainsi, Boris Johnson, ancien maire de Londres et héraut du Brexit, n’a pas hésité à comparer l’Union européenne à Hitler. Quelques jours plus tard, le premier ministre David Cameron a estimé que les chefs de l’organisation terroriste Daesh « devaient soutenir la sortie ».
Dans un registre encore plus tranché, le groupuscule d’extrême-droite Britain First a récemment menacé les « élus musulmans », parmi lesquels le maire de Londres, d’« actions directes ». Son leader, Paul Goulding, s’est empressé, dès l’annonce de l’agression de Jo Cox, de prendre ses distances avec l’acte. En effet, l’assassin aurait crié « Britain first » en frappant la parlementaire avec un poignard.
Mais les us des politiques ne sont pas les seuls responsables d’un climat délétère pour l’exercice de l’action publique. Les médias, particulièrement la presse tabloid, jouent un rôle singulier dans ce paysage. En 2009, le membre du parlement travailliste Chris Mullin, dont le nom était cité dans un scandale relatif aux dépenses des parlementaires (il a été blanchi par la justice), écrivait déjà :
« La triste vérité est que, pour une grande partie de nos médias (et pas seulement les tabloïdes), le journalisme politique est devenu une forme de guerre où tous les coups sont permis. Le journalisme « de tabloïd » exige, en particulier, son lot régulier de victimes – que ce soient des rock stars déchues, des footballeurs qui se conduisent mal ou des députés dévoyés. »
En règle générale, le soupçon fait fonction de preuve et l’accusation anonyme de condamnation pour la presse britannique. Evoquant l’impact de la presse grand public, Charlie Beckett, chercheur à la London School of Economics, estime :
« Notre luxure anglo-saxonne aiguise un appétit pour la chair nue et l’intrusion de vie privée ».
Les responsables politiques ne sont pas exclus, bien au contraire, de ces intrusions qui contribuent à dévaloriser la fonction politique.
Bon nombre de membres du parlement ont contribué à ce jeu morbide, y compris des responsables de premier ordre. On se souviendra de Tony Blair exposant sa famille devant les caméras et les appareils photos. Ou, plus récemment, d’Andy Burnham faisant de même pour tenter de booster sa campagne défaillante dans le leadership du parti travailliste.
Tout aussi bien, le responsable politique devenu proie, parfois consentante, pour les tabloids, peut l’être aussi pour le Britannique lambda. Jo Cox en a fait l’expérience irrémédiable. L’émotion qu’a suscitée sa mort tragique va probablement modifier les comportements. Pour quelques semaines. Et la traque reprendra. Les affaires doivent continuer.
Nathanaël Uhl