Brexit : un royaume désuni choisit la sortie
Même les bookmakers se sont trompés cette fois. Avec 1.300.000 voix de majorité et 52% des suffrages, la Grande-Bretagne a décidé de quitter l’Union européenne. Toutes les prévisions des instituts de sondage ont été déjouées. La participation très élevée n’a pas été favorable au camp du maintien. C’est le camp du Brexit qui s’est mobilisé de manière massive. David Cameron est donc celui qui aura mis à nu les divisions béantes d’un royaume plus désuni que jamais. Le premier ministre britannique en a tiré les conséquences en annonçant sa démission, dès le 24 juin au matin. Le Scottish national party a annoncé qu’il demande un nouveau référendum sur l’indépendance écossaise. Enfin et une nouvelle fois, les Britanniques ont fait un bras d’honneur à Westminster.
Dans le flot des réactions qui ont accompagné la publication des résultats tout au long de la nuit, la palme revient encore une fois à Nigel Farage, leader du parti europhobe UKIP. Après avoir, dans un premier temps, annoncé sa défaite , il a salué la victoire du Brexit « sans qu’un seul coup de feu ait été tiré ». La famille de Jo Cox, parlementaire assassinée une semaine plus tôt et qui a été victime d’un coup de fusil en plein visage, a du apprécier…
Six électeurs conservateurs sur dix et un électeur labour sur trois ont choisi le brexit. L’Ecosse est la seule partie du Royaume-Uni à présenter un vote clair: l’ensemble des constituencies a voté majoritairement pour le maintien. L’Angleterre est majoritairement favorable au Brexit mais, comme nous l’avons déjà mis en lumière, les divisions qui lacèrent la société britannique y sont patentes : en fonction de l’âge, de la classe sociale, du niveau d’études… En Irlande du Nord, la carte des votes en faveur du maintien et de la sortie recoupe dramatiquement les divisions confessionnelles. Le camp catholique et favorable à l’union irlandaise est pour le maintien ; le camp protestant et lié à la Grande-Bretagne affiche son orientation sortiste.
Les circonscriptions industrielles du Pays-de-Galles ont déjoué les pronostics en plébiscitant la sortie. Cameron pourra longtemps repenser à la manière dont il a géré la crise de l’acier. A Sunderland, au coeur du heartland travailliste, le brexit l’emporte avec 71% des voix. Témoignage de la manière dont bon nombre de communautés, notamment dans les anciens bastions industriels, de sentent marginalisées. Elles ont donc répondu à leur manière à Westminster qu’elles accusent d’abandon. Déjà, en choisissant Corbyn comme leader en septembre 2015, une majorité de travaillistes avait envoyé un message à ses responsables traditionnels. En voyant pour le brexit, un sur trois a renouvelé le message…
« Le vote du 23 juin est un hurlement contre l’establishment, contre Westminster », analyse à chaud la membre du parlement travailliste Diane Abbott, proche du leader travailliste.
A n’en pas douter, une partie des électeurs britanniques a utilisé le référendum pour exprimer sa colère envers le gouvernement conservateur. Depuis plusieurs mois, Cameron a multiplié les mesures impopulaires et, sous la pression d’une partie de son propre camp, a été contraint de reculer sur certaines. Cela a alimenté la perception d’un gouvernement devenu bateau ivre, totalement coupé des préoccupations des Britanniques. Lesquels le lui ont fait payer au prix fort. S’exprimant sur la BBC le 24 juin au matin, Jeremy Corbyn a résumé : « Les habitants de ce pays sont très en colère« .
Le leader du Labour va rapidement se retrouver sur la sellette. Une partie de la droite travailliste demande sa tête en l’accusant d’être responsable du Brexit. Déjà, deux membres du parlement ont déposé une motion de défiance visant explicitement Jeremy Corbyn. Le discours de l’eurosceptique Corbyn était favorable au maintien pour transformer l’Union européenne de l’intérieur. D’aucuns ne manqueront pas de trouver cet argumentaire trop compliqué pour être audible. Depuis l’Ecosse, le Scottish national party accuse déjà le Labour d’avoir manqué l’occasion de mobiliser ses troupes. Las, la participation des Ecossais au référendum est bien plus faible qu’attendue, ce qui permet aux travaillistes de retourner l’accusation contre Nicola Sturgeon, patronne du SNP.
Les attaques contre le SNP seront d’autant plus nourries que certains ne manquent pas d’évoquer une forme de duplicité de la part de Nicola Sturgeon. Après le référendum sur l’indépendance de l’Ecosse, la dame de fer de Hollyrood avait remis toute demande d’une nouvelle consultation à un changement caractérisé de la situation politique et d’évoquer le brexit comme l’un des points majeurs. En clair, puisque la Grande-Bretagne a choisi le Brexit, alors l’Ecosse se trouve fondée à organiser un nouveau référendum sur l’indépendance. Ce matin, Sturgeon a confirmé qu’elle tiendra sa promesse.
« La perspective d’une seconde consultation sur l’indépenance est hautement probable », a affirmé la Première ministre écossaise.
Elle a annoncé qu’elle prendra contact avec les autorités européennes et demande, comme Sadiq Khan, le maire de Londres, à être associée aux négociations sur le retrait du Royaume-Uni des instances européennes.
D’autres ne s’en priveront pas. Le Sinn Féin a déjà annoncé qu’il demandera un référendum sur le rattachement de l’Irlande du Nord à la République d’Irlande, tenant compte des résultats à Belfast et alentours. De fait, le référendum initié par Cameron pour réunifier le parti conservateur a pour effet d’écarteler les différentes composantes de la Grande-Bretagne. Alors que d’aucuns voient dans les résultats le début de l’effondrement de l’Europe, c’est le Royaume-Uni qui est au bord de l’explosion.
Bien évidemment, la colère provoquée par la politique d’austérité du gouvernement Cameron a, probablement, amené une partie de l’électorat de gauche à sanctionner le locataire du 10 Downing Street. Pour autant, il n’y aura aucun changement de cap dans l’orientation politique menée par Westminster. Le premier ministre a bien annoncé sa démission. Mais il a confié à la conférence du parti conservateur le soin de désigner son successeur. Le hérault du Brexit, Boris Johnson, fait figure de favori dans la course au 10 Downing Street.
En annonçant ce mode de succession, Cameron a fermé la porte à une élection générale anticipée. Le plus ironique dans cette situation est que, si le camp du maintien l’avait emporté, la probabilité d’un scrutin anticipé était bien plus élevée. Cameron ne disposait plus de majorité à la chambre des communes. Son successeur, s’il est auréolé de la victoire du Brexit, en aura une d’autant plus solide qu’elle est limitée à 20 parlementaires.
Silvère Chabot et Nathanaël Uhl
Résultats définitifs :
- Participation : 72 %
- Leave : 17,410,742 – 51.9%
- Remain : 16,141,241 – 48.1%
Bonus vidéo : Henry Purcell – Funeral March For Queen Mary