Le Brexit relance la guerre civile au sein du parti travailliste
Le Labour n’a donc pas souhaité se différencier des conservateurs. Les résultats du référendum sur le maintien du Royaume-Uni au sein de l’Union européenne ont entraîné la démission du Premier ministre David Cameron, transformant la guerre civile tory en guerre de succession. Côté travailliste, l’affrontement entre le leader, Jeremy Corbyn, et le Parliamentary Labour Party (PLP – une des trois composantes organiques du parti travailliste) a pris une nouvelle tournure. Dans la nuit du samedi 25 au dimanche 26 juin, Corbyn a proprement dégagé Hilary Benn, qui préparait ouvertement une tentative pour déposer le leader élu. Dans la foulée, plus d’une dizaine de membres du parlement ont démissionné du shadow cabinet. La réunion du PLP prévu lundi 27 au soir devrait être particulièrement tendue.
Dès vendredi 24 juin, deux membres travaillistes du parlement, Margaret Hodge et Ann Coffey, ont déposé une motion de défiance envers Jeremy Corbyn. Cette motion n’a pas de valeur statutaire. Seul le congrès peut déposer un leader élu. Elle devrait être examinée lors de la réunion du PLP prévue lundi soir et mise aux voix, à bulletins secrets, mardi 28 juin.
Ce premier signe a été jugé suffisamment sérieux pour que, immédiatement, les leaders des douze syndicats membres du Labour mettent en garde, dans un communiqué commun, contre « une crise de leadership préfabriquée (…) au moment où les Tories sont privés de tête » suite à la démission de Cameron. Le quotidien de gauche The Guardian, proche du Labour, a souligné, dans un éditorial, que le parti avait besoin de tout sauf d’une nouvelle guerre interne. En vain.
L’avertissement des principaux bailleurs de fonds n’a pas plus servi. Hilary Benn, figure de proue des opposants à Corbyn depuis la crise interne sur la Syrie, a passé son samedi à consulter les membres du shadow cabinet afin de sonder les possibilités de déposer le leader. La presse britannique s’est faite l’écho de ces manœuvres qui avait lieu au grand jour. Alors que le landerneau politique britannique bruisse de la possibilité d’élections anticipées, l’aile droite du Labour met en exergue le fait que Corbyn serait incapable de mener les travaillistes à la victoire. A l’appui de leur thèse, ils mettent en avant un sondage qui montrerait qu’un électeur Labour de 2015 sur trois aurait l’intention de voter pour un autre parti.
« Je pense que Jeremy est un homme bien, mais il n’a pas l’étoffe d’un leader », a résumé Hilary Benn.
Fort d’une pétition en sa faveur qui a recueilli plus de 173,000 signatures à 13h ce dimanche 26 juin, Corbyn a pris les devants en limogeant Hilary Benn de son poste de shadow Foreign Secretary à une heure du matin, dans la nuit de samedi. Dès les premières heures de dimanche, la shadow secretary à la santé, Heidi Alexander, a annoncé sa démission. Elle a été suivie par Gloria Del Piero, une autre membre du shadow cabinet, considérée comme une très proche du deputy leader Tom Watson. Plus d’une dizaine de départs sont attendus. L’aile droite du parti travailliste est décidée à provoquer la confrontation.
Pendant ce temps, Tom Watson, le numéro deux du Labour, a passé la nuit au festival de Glastonbury. Celui que Tony Blair qualifiait en 2006 de « déloyal et faux » apparaît étonnamment en retrait. Or, rien ne peut se faire sans lui et, encore moins, contre lui. Il y a fort à croire qu’il s’est mis volontairement en retrait pour tenter de prendre la main sur le parti en se présentant comme l’homme du recours.
Les proches de Corbyn ne restent pas l’arme au pied. Ce dimanche, qui est la première journée de la semaine politique outre-Manche, John McDonnell, proche parmi les proches du leader travailliste, a enchaîné pas moins de quatre plateaux télévisés. Il a affirmé que Corbyn ne démissionnera pas, quel que soit le résultat du vote du PLP sur la motion de défiance.
« Les membres du parlement devraient écouter le souhait des adhérents, a martelé McDonnell. Nous devrions nous rassembler, être une vraie opposition face aux conservateurs. C’est ainsi que nous pourrons gagner les élections. »
Len McCluckey, leader du plus puissant syndicat du Royaume-Uni Unite, a confirmé être « à 100% derrière Corbyn ». A l’heure où ces lignes sont écrites, Momentum, le mouvement animé par les proches de l’actuel leader travailliste, envisagerait des manifestations devant les permanences des Membres du parlement les plus hostiles à Corbyn…
Ce nouvel affrontement entre les « modérés » majoritaires au sein du PLP et l’équipe de Corbyn, élu par 59.5% des adhérents du Labour, trouve ses origines dans les mauvais résultats du vote « remain » dans les bastions du Labour. A l’échelle nationale, un électeur travailliste sur trois a opté pour le Brexit, contre les consignes du parti. La rupture entre l’appareil du Labour et son électorat est particulièrement claire au Pays-de-Galles, région du Royaume-Uni où un vote majoritaire était attendu en faveur du maintien. Las, le premier ministre gallois, le travailliste Carwyn Jones, ne peut que constater que les constituencies ouvrières, d’où il tire sa majorité, ont aussi pris le chemin de la sortie.
Avec un discours articulé entre maintien mais exigence de réforme profonde de l’Union européenne, Jeremy Corbyn fait figure de victime expiatoire pour l’aile droite du parti travailliste en recherche de coupables. Qui plus est, Corbyn prête le flanc à la critique : son équipe, composée pour beaucoup de critiques de l’Europe libérale, n’a pas fait preuve d’une implication irréprochable dans la campagne travailliste en faveur du maintien. Pourtant, le Labour peut se féliciter d’avoir fait sa part du travail : 70% de ses membres ont voté en faveur du maintien dans l’Union européenne, un ratio dont Cameron, désormais ex leader des conservateurs, doit encore rêver. Les jeunes, autre cible de la campagne travailliste, ont bien répondu : 73% de ceux qui se sont déplacés aux urnes ont voté en faveur du maintien.
Mais, pour l’aile droite du Labour, le fond de la question est ailleurs. Peu leur importe que les résultats en faveur du maintien dans l’Union européenne dépassent les 75% dans les constituencies de Corbyn et Diane Habbott, une de ses proches. Peu leur importe que, dans la constituency de Tristram Hunt, un des plus farouches opposants au leader du parti, « leave » l’emporte avec 69.4% ou que, à Leeds Central, terre d’élection d’Hilary Benn, le camp du maintien n’engrange que 50,3% des voix. Pour les blairites, Corbyn n’a jamais été légitime parce qu’il n’appartient pas à leur sphère.
Le membre du parlement pour Islington-North a confirmé qu’il sera candidat à sa succession si les adhérents du Labour devaient être appelés à revoter.
Pingback: Après les élections générales, c’est l’heure de régler les comptes – Grey Britain