Une manif face à une réunion : le fossé se creuse au parti travailliste
L’image laissera des traces profondes. A 20h, heure de Londres, ce lundi 24 juin, Parliament square est occupé par près de 10,000 militants et sympathisants travaillistes tandis que le groupe parlementaire – le Parliamentary Labour party (PLP) – est cloîtré dans une salle du parlement. Les uns sont venus soutenir leur leader, Jeremy Corbyn, tandis que les autres examinent une motion de défiance contre le membre du parlement pour Islington-North. La réunion du groupe a pris les allures d’un dialogue de sourds alors qu’à l’extérieur, la colère gronde contre des élus « coupés » de leur base. Ce mardi 28 juin, vers 16h (Londres), les résultats du scrutin à bulletin secret sur la motion de défiance devraient être connus. Son issue ne fait aucun doute : a minima, 65% des membres du PLP devraient voter le texte.
La réunion et la manifestation, convoquée en 48 heures, constituent l’issue d’une journée marquée par une tension paroxystique. Les démissions ont succédé aux démissions, pendant que Jeremy Corbyn a procédé au remaniement de son shadow cabinet. Le leader travailliste, élu en septembre 2015 par 59.5% des voix, a également raidi sa position. Cela s’est senti lors de la réunion du Parliamentary Labour Party. Elle s’est tenue dans une salle pleine à craquer, forçant des élus à se battre physiquement pour y rentrer. Deux membres du cabinet fantôme appointés le matin même par Corbyn se sont vus refuser l’accès, tout comme les conseillers du leader.
Le procès débute dans une ambiance électrique. Les uns après les autres, les membres travaillistes du parlement prennent la parole pour demander à Corbyn de démissionner, sans pour autant le remettre en cause personnellement. « Tu dois cela au parti : démissionne ou tu vas le détruire », c’est le message délivré en substance par la succession d’orateurs. Ce bel ordonnancement est rompu quand Ian Murray, le dernier MP du Labour en Ecosse, s’est ému d’une manifestation de partisans de Corbyn devant sa permanence. Il lui a alors demandé de « rappeler ses chiens ». Le mot parvient rapidement à l’extérieur des murs, où la foule rassemblée l’apprécie comme de juste.
Corbyn répond tranquillement qu’il ne démissionnera pas. Son objectif demeure de « gagner les élections générales », alors que les spéculations vont bon train pour un scrutin anticipé en octobre prochain. Cette déclaration est accueillie par une floraison de « démissionne ! ». Le vétéran socialiste rappelle qu’il restera à son poste et qu’il est tout disposé à disputer un nouveau leadership. Assurément, les clameurs en provenance de Parliament square lui donnent de l’énergie. Corbyn fait face seul à ses détracteurs, furieux de la manifestation tenue sous leurs fenêtres : « Ce n’est pas ça, le Labour ! », tonne un des rebelles. Les membres du parlement loyaux à Corbyn ont reçu consigne de ne pas participer à la réunion du groupe, les jeux y étant fait par avance.
C’est donc devant des milliers de manifestants – « le plus grand rassemblement de ce type depuis la victoire des mineurs en 1969 », se félicite au micro Dennis Skinner, MP de la gauche travailliste – que les proches de Corbyn s’expriment. Richard Burgon, membre du parlement pour Leeds-South et nouveau Shadow secretary à la Justice, s’est mué en chauffeur de square. « Plus fort !, lance-t-il à la foule. Que chaque membre du PLP vous entende ! » A gorge déployée, l’assistance répond en lançant « Keep Corbyn ! Keep Corbyn ! Keep Corbyn ! » Une forêt de drapeaux rouges et de pancartes faites à la main relaie le message du jour « Tories out, Corbyn in ! » (« Les conservateurs dehors, Corbyn dedans ! »).
Les orateurs se succèdent sur l’estrade. Parmi eux, le journaliste Paul Mason et nombre de dirigeants syndicaux… Dave Ward, secrétaire général du Communication Workers Union, martèle :
« Il y a un virus dans notre Labour party et Corbyn est l’antidote ! »
Son homologue d’ASLEF, le remuant syndicat des conducteurs de train et de métro, renchérit en évoquant la possible nouvelle élection du leader travailliste : « S’il y a un nouveau leadership, cette fois nous devrons louer des stades ! « . Allusion au succès des réunions publiques qui ont jalonné la campagne victorieuse de Jeremy Corbyn il y a un an.
Diane Abbott, figure de la gauche travailliste et alliée de longue date du leader, prend la parole pour élargir le propos :
« Cela va au delà de Corbyn, lance-t-elle. C’est la défense d’une organisation politique qui défend les plus démunis dans le pays ! »
C’est dans cette ambiance que le leader du Labour vient, bien avant la fin de la réunion du PLP, prendre la parole. Sous les vivats de la foule, Jeremy Corbyn commence son propos en invitant à « se rassembler pour faire face au racisme », alors que, depuis l’annonce des résultats du Brexit, les attaques à caractère xénophobe se multiplient. Il poursuit en invoquant la nécessité de « se battre contre l’hétérodoxie économique libérale qui crée autant de souffrances et pour construire une majorité ». Il a juste un mot pour ses adversaires travaillistes :
« Nous n’avons pas besoin de la culture du blâme. Nous avons besoin d’une culture du travail commun en faveur de la justice sociale, à laquelle nous aspirons tous ».
Dans les couloirs du parlement, les MPs travaillistes ne cachent pas leur colère. D’autant qu’un porte-parole de Corbyn leur envoie un message tout sauf appaisant : « Pas de chuchotements, pas de réunions de couloirs… Trouvez les noms et venez à l’élection ». La confrontation est désormais ouverte. Il n’y aura pas de gentlemen agreement.
Silvère Chabot et Nathanaël Uhl
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