Stephane Savary (Labour) : « Une force pour bouleverser l’ordre établi »
C’est un militant rouge dans un bastion bleu. Stephane Savary est secrétaire politique de la branche du parti travailliste pour Altrincham et Broadheath, à Trafford, la seule ville dirigée par les conservateurs dans la banlieue de Manchester. Il est aussi auteur pour le site Sciscomedia. Alors que la conférence annuelle du parti travailliste se termine ce mercredi 28 septembre 2016, il revient avec nous sur la campagne autour du leadership. Campagne conclue par la deuxième victoire consécutive de Jeremy Corbyn, avec 61.8% des suffrages.
Vous faites partie de ces militants de terrain qui ont contribué à la réélection de Jeremy Corbyn comme leader du parti travailliste. Cette campagne a été bien plus violente que la précédente il y a un an. Est-ce que les différentes composantes du Labour peuvent encore vivre ensemble ?
Cette campagne interne a été un véritable cauchemar. De nombreuses divisions sont apparues que ce soit au plan national ou localement. Mais, la plus grande division interne au Labour est surtout entre la base des adhérents et les élus, qu’ils soient parlementaires ou élus locaux.
Il faut comprendre que ces derniers sont pour la plupart issus d’une période où les idées de Blair formaient la base politique du Labour. Ils ne croient pas en un parti militant, plus ancré dans le paysage politique et social local.
Pendant des années, le parti travailliste n’était qu’une coquille vide avec quelques cadres locaux qui faisaient « tourner la boutique ». Aujourd’hui, ce n’est plus le cas. La base militante s’est élargie considérablement. Surtout dans des régions où, historiquement, les conservateurs ou les libéraux-démocrates sont la force politique dominante.
De ce fait, il y a une remise en question des anciennes pratiques, avec la volonté de tout bousculer. Il y a surtout une faim considérable de changement, avec un plus grand contrôle sur les élus du parti.
Les députés travaillistes ne comprennent pas ce qui se passe. Ils pensaient naïvement que leurs petites « magouilles » entre amis suffiraient à se débarrasser de Jeremy Corbyn. Ils ont non seulement eu tort mais en plus ils ont aidé à renforcer la détermination de la gauche du parti à reformer le Labour.
Cette campagne interne (pour le leadership) a été un véritable cauchemar.
Vous parlez de réformer le Labour… Le leadership n’a que peu évoqué cette question…
L’affrontement auquel nous avons assisté au sein du parti travailliste, durant cette élection interne, portait sur sa nature même. A qui le parti appartient : les membres du parlement ou les adhérents ? La « bureaucratie déclinante » du parti ou les syndicats ? C’est pour cela que cette campagne était bien plus « violente » que la précédente.
Maintenant, l’union se fera autour de la nouvelle direction du parti. Les parlementaires n’auront plus le choix. Sinon, ils risquent de tout perdre. Le parti travailliste est le plus vieux parti ouvrier d’Europe. Des talents, des jeunes, des militants et militantes prêts à s’investir à tous les échelons du parti, cela ne manque pas.
La campagne d’Owen Smith laisse à croire que l’agenda politique anti-austérité porté par Corbyn ferait l’unanimité. Est-ce réellement le cas ?
Owen Smith a essayé de copier le discours de la gauche antilibérale mais le compte n’y était pas. Il y a toujours une frange politique a la droite du parti qui croit que Tony Blair et sa fameuse « troisième voie » peuvent permettre d’enrayer le déclin électoral du parti. Owen Smith fait partie de cette frange-là.
Il faut rappeler que, entre 1997 et 2010, le parti travailliste a perdu 5 million de voix.
Le problème de Smith, c’est qu’il n’a pas réussi à analyser ce qui s’est passé depuis l’élection de Corbyn en 2015. Comme la majorité des membres du parlement, il pensait que ce n’était qu’un accident. Donc, quand il a essayé de rougir son discours pour séduire la gauche du parti, il sonnait faux !
Ce qui est indéniable par contre, c’est qu’aujourd’hui, il y a un vrai réalignement à gauche du parti travailliste. Le Labour est clairement anti austérité, bien que personne ne sache vraiment ce que cela veut dire. De manière générale, le parti travailliste a tourné la page du blairisme.
Il faut rappeler que, entre 1997 et 2010, le parti travailliste a perdu 5 million de voix. En 2015, lors des élections générales, nous avons perdu l’Ecosse, qui était considérée par les « blairites » comme une « branche du parti » tellement le Labour y était dominant. En somme, Smith était le candidat du passé.
Les médias de masse, de droite comme de gauche, mais aussi les principaux opposants à Jeremy Corbyn mettent en avant le fait que ce leader serait incapable de gagner les élections générales. Les sondages semblent leur donner raison. En tant que responsable local du Labour, qu’en pensez-vous ?
Ici, à Trafford, dans la seule municipalité de droite de tout le Grand Manchester – situation due à la façon dont les élections locales fonctionnent en Grande Bretagne -, nous avons fait plus de voix que les conservateurs. Avec le système français, nous aurions remporté cette ville de 275,000 habitants qui est considérée comme un bastion de la droite.
Localement, ma branche n’avait que 90 adhérents en mai 2015. Nous sommes désormais 279 adhérents et environ une centaine de supporters enregistrés. Ma branche est implantée dans un quartier de classe moyenne aisée, où la droite avait tous les élus (3 sur 3) en 2012. Deux sur trois sont maintenant au Labour.
C’est dur. Nous devons nous battre pour chaque voix. Mais, quand nous faisons du porte à porte, nous sommes très souvent deux équipes de 15 militants chaque. Quand nous sommes dans le quartier, les gens nous voient. Nous avons la capacité militante que la droite n’a plus.
Et nationalement ?
Nous avons aussi remporté Londres et Bristol, écrasé la droite à Liverpool et Salford – ce qui était facile je le reconnais. Bon gré mal gré, nous avons conservé l’essentiel de nos élus locaux. Par ailleurs, le Labour n’a pas perdu une seule élection partielle au parlement l’année dernière. Nous nous sommes même renforcés à Oldham – dans le Nord de Manchester. Notre candidat a fait plus de 60% des voix, là où on nous prédisait une victoire de justesse face à l’extrême-droite.
Durant la campagne a Oldham, le jour de l’élection, il y avait plus de 1,000 militants et militantes dans toute la constituency. Ils tapaient aux portes, téléphonaient auix électeurs, distribuaient des tracts. Cela a fait une grosse différence au moment du résultat.
Corbyn, et avec lui son équipe, doivent avoir une vraie stratégie sur la manière d’appréhender les médias. Trop souvent, ils ont l’air d’amateurs. Cela doit changer et vite.
Alors, oui : les sondages sont mauvais. Mais n’oublions pas que le parti travailliste sous Ed Miliband était placé à plus de 40% avec jusqu’à 12 points d’avance sur les conservateurs, en 2011. Seulement voilà, en 2015, nous avons perdu par deux millions de voix d’écart.
Tout est loin d’être parfait, l’Ecosse demeure un problème, car nous ne sommes toujours pas crédibles face aux nationalistes du SNP. Mais, il faut dire que la direction écossaise du parti est très mauvaise et est ouvertement opposée à Corbyn. Cela n’explique pas tout, mais si on continue à perdre en Ecosse, je pense que nos camarades écossais devraient sérieusement envisager de se débarrasser de Kezia Dugdale.
Enfin, oui les médias sont contre nous. La presse Britannique est certainement la pire d’Europe, car elle se moque éperdument de traiter les affaires politiques avec honnêteté. Elle est par ailleurs très militante. Mais, le parti travailliste a toujours eu « mauvaise presse ». Par contre, Corbyn, et avec lui son équipe, doivent mieux faire dans le traitement de leur image. Ils doivent être capable de mieux communiquer leur point de vue et avoir une vraie stratégie sur la manière d’appréhender les médias. Trop souvent, ils ont l’air d’amateurs. Cela doit changer et vite.
La stratégie de Corbyn et McDonnell, son bras droit, ne semble pas d’aller décrocher les électeurs de UKIP ou des Libéraux-Démocrates mais de réinclure celles et ceux qui ne votent plus. Est-ce que cela peut fonctionner dans une période où le Labour donne l’image d’un parti uniquement préoccupé de ses querelles internes ?
La stratégie est d’aller chercher non seulement ceux qui ne votent plus, mais aussi ceux qui sont partis à l’UKIP. Localement, nous avons gagné des militants sur les Verts mais aussi sur les Libéraux-Démocrates et sur UKIP.
Le problème est que la droite du parti n’avait pas digéré la victoire de Corbyn en 2015. Ils ont donc adopté la politique de la « terre brûlée » en espérant faire partir Corbyn. Ils ont aussi craché sur les nouveaux adhérents considérés comme des nuisibles, car ils viennent ou ont voté pour d’autres partis avant ! Et moi qui croyais que l’on devait convaincre ceux qui n’étaient pas d’accord avec nous…
Reconnaissons que tenir une élection interne juste après le résultat du référendum – au moment où le pays a le plus besoin du parti travailliste – montre à quel point ceux qui ont organisé la déstabilisation de Corbyn n’ont que faire de la réputation du parti et de son image. Ces gens-là ont tout fait pour détruire la crédibilité du parti travailliste en tant que force d’opposition au gouvernement. Mais ils n’ont pas réussi à enrayer la machine.
La droite du parti a adopté la politique de la « terre brûlée »
C’est ce qui, personnellement, me fait le plus peur. J’espère que nos électeurs nous pardonnerons de ne pas avoir été là après le référendum.
Maintenant Il est évident que les électeurs ne voudront pas d’un parti désuni. Les querelles internes ont empoisonné le premier mandat de Corbyn. Espérons que cela changera dès que notre conférence sera terminée.
Pour parvenir à son objectif, Corbyn semble déterminé à changer la nature même du Labour pour le transformer en parti mouvement. Est-ce que cette rupture, qui brusque déjà le PLP, ne risque pas de violenter les syndicats qui sont encore le meilleur allié de Corbyn ?
Le parti travailliste avant Corbyn était le parti de l’immobilisme. Il ne fallait pas dire que nous étions socialistes, il ne fallait pas oser être trop différent des conservateurs et il fallait accepter que c’était la responsabilité de Gordon Brown si la crise économique avait touché de plein fouet le pays en 2009. Les Conservateurs n’ont pas arrêté de dénoncer la soi-disant mauvaise gestion de l’économie sous Tony Blair et Gordon Brown pour expliquer leurs coupes budgétaires et l’austérité économique qu’ils ont imposées depuis 2010.
Pendant toute la période entre 2010 et 2015, le parti travailliste était incapable d’être cohérent et honnête avec nos adhérents, qui sont pour la plupart des syndicalistes, mais aussi et surtout avec ceux qui ont le plus besoin de nous : les classes populaires. Nous avons essayé d’être comme les conservateurs, tout en disant à nos membres et aux syndicats, que nous étions différents.
Le parti travailliste est le parti des syndicats. J’ai rejoint le parti en 2009 car mon syndicat, Unite – le plus grand syndicat d’Europe avec 1,5 million adhérents -, est membre du parti travailliste. Mais à quoi ça sert un « parti des syndicats » qui refuse de soutenir une grève ? Et bien, ça ne sert pas à grand-chose. Et, surtout, ça perd les élections.
Unite, Unisson, une grande partie de GMB, UCATT… l’essentiel des syndicats soutient Corbyn car ils considèrent, à juste titre, qu’il veut défendre les intérêts moraux des travailleurs. C’est Unite et Unisson (à eux deux, c’est près de 3 millions de syndiqués) qui ont façonné la campagne de Corbyn.
C’est peut-être un choc culturel pour le PLP, mais ils doivent comprendre que les adhérents du parti travailliste ne sont pas juste bons à distribuer des tracts : ils ont des idées, des envies et veulent changer le monde ! Mais ils ont aussi les pieds sur terre et veulent gagner les élections en convainquant les électeurs. Et pas en leur disant « voter pour nous car on est moins pire que les autres ».
Un « parti des syndicats », qui refuse de soutenir une grève, ça perd les élections.
Le parti travailliste est la voix des syndicats et des classes populaires. Notre parti existe uniquement car nous voulons transformer la société de manière permanente. Nous sommes socialistes et démocrates. On veut changer les choses et faire de nos idées, la base sur laquelle repose la démocratie britannique à laquelle nous aspirons.
Aujourd’hui, nous avons des enfants qui souffrent de malnutrition. Plus d’un million de personnes dépendent des banques alimentaires. Des familles mangent du papier pour lutter contre la faim. Des adolescentes se prostituent dans nos quartiers populaires. La Grande-Bretagne est un pays riche, très riche, où les inégalités s’accroissent a vue d’œil.
Donc oui : le parti travailliste doit se transformer en une force politique qui va bouleverser l’ordre établi. Le statu quo ça suffit ! C’est pour cela que les syndicats soutiennent le mouvement que Corbyn a initié.
Propos recueillis par Nathanaël Uhl