Labour conference 2016 : Jeremy Corbyn en patron face à une aile droite en action
Aux échecs, on dirait que les deux camps sont pat. A l’issue de la conférence annuelle du parti travailliste, qui s’est conclue mercredi 28 septembre 2016 à Liverpool, le camp de Jeremy Corbyn et celui de ses opposants ne peuvent plus avancer sans se mettre eux-mêmes en échec. Le leader a été confortablement réélu et il a fait valider son programme par les délégués. La droite travailliste a fait basculer la majorité du National Executive Committee (NEC – organe de régulation du parti) en sa faveur et a fait applaudir par la salle les noms de Tony Blair et de Gordon Brown. La crise peut donc continuer, sous des formes différentes. Et Jeremy Corbyn a désormais la tâche de former un nouveau shadow cabinet.
Une partie des 60 membres démissionnaires du shadow cabinet a laissé entendre qu’elle pourrait revenir puisque le coup d’état contre Corbyn s’est transformé en plébiscite. Alors qu’il n’avait pas obtenu la majorité absolue dans le collège des adhérents en 2015, il y emporte 58,99% des suffrages. Corbyn confirme sa majorité dans le collège des membres affiliés, celui des syndicalistes, où il gagne 60% des voix. Comme en septembre 2015, il rafle la mise dans le collège des supporteurs enregistrés en dépassant la barre des 70% des votes. Alors que le challenge devait le déstabiliser, Corbyn ressort de ce leadership dans une position renforcée.
Mais, comme d’habitude, la gauche travailliste a délaissé les questions proprement organisationnelles. Comme elle se montre incapable de former des cadres pour essayer de succéder à ses hérauts, elle n’a pas préparé la conférence. Résultat des courses, les « modérés », comme la droite travailliste se baptise elle-même, a fait la salle. Et Tom Watson, deputy leader du Labour, a eu beau jeu de se faire applaudir en vantant les mérites de Tony Blair et Gordon Brown, les derniers premiers ministres travaillistes qu’ait connus la Grande-Bretagne. Une ovation qui rappelle surtout que les militants du Labour entendent bien que leur parti revienne au pouvoir.
Moins anecdotique, l’impréparation de la gauche a permis aux opposants de Corbyn d’imposer un vote bloqué sur le paquet des réformes internes au parti travailliste. Les délégués se sont donc prononcés en même temps pour confirmer que le leader sortant pourra automatiquement se présenter en cas de challenge et pour inclure un représentant du Scottish Labour ainsi que du Welsh Labour, fermes opposants à Corbyn, au sein du NEC. Contre la possibilité de se représenter sans avoir besoin de parrainages, le leader a dû sacrifier sa majorité au sein de l’exécutif du parti travailliste. Il devra donc composer sur chaque sujet. C’est ce qui arrive quand on ne se bat pas pour obtenir des délégués en nombre suffisant.
La gauche travailliste peut être douée pour le ministère des masses mais elle est encore loin de l’efficacité en matière d’organisation et de formation des cadres des « modérés ». Appuyés sur le think tank Progress, bénéficiant de l’appui de la direction du syndicat GMB, ils sortent de la conférence avec la quasi assurance que le secrétaire général du Labour, Iain McNicol, restera en poste. L’avenir du patron de la machine travailliste était pourtant écrit en pointillés alors qu’il a joué un rôle essentiel dans la réduction du corps électoral en vue du leadership. Allant même jusqu’à faire appel d’une décision de justice favorable aux nouveaux adhérents.
Ce qui peut rassurer le camp Corbyn, à l’issue de cinq jours de psychodrame joués devant toutes les caméras du pays, c’est que le leader réélu semble avoir haussé son niveau de jeu. Le discours de clôture de Jeremy Corbyn l’a propulsé, aux yeux des observateurs, dans une dimension nouvelle. Portant un programme de « New Deal » en dix points, il a fixé le cap en direction des élections générales. Le membre du parlement pour Islington-North a martelé son ambition : entrer au 10 Downing Street, mais à sa manière :
Le parti travailliste a un rôle de protestation, pour obtenir justice en faveur de ceux qui mènent la campagne pour Orgreave (…), mais aussi pour conquérir le pouvoir dans les conseils locaux et au parlement.
Corbyn a confirmé qu’il se prépare à des élections anticipées et a renvoyé, par avance, la responsabilité d’une défaite dans le camp de ses opposants. Entre ses lignes, il a expliqué que la période difficile que rencontre le Labour dans les sondages s’explique aussi parce que ses opposants se répandent dans la presse contre la direction élue du parti.
Il a donc fixé le cap sur un « socialisme du 21e siècle », qui réponde « aux besoins et aspirations des électeurs aux revenus bas et moyens, aux besoins et aspirations des familles ordinaires ». Son programme en dix points a été voté à 51% des délégués, malgré une salle plutôt défiante. Corbyn a donc pu savourer, au-delà des aléas du congrès, le virage à gauche du Labour. Fort de cette réorientation désormais actée, il a pu conclure, sous une standing ovation :
Ensemble, nous pouvons façonner le futur et construire une Grande-Bretagne plus juste dans un monde en paix.
Avant de rêver à un monde de paix, Corbyn devra déjà pacifier ses rapports avec le Parliamentary Labour party. Ce qui s’avèrera peut être encore plus difficile.