Déclaration d’automne : premiers accrocs à l’orientation post libérale pour le budget conservateur
Il y a toujours loin de la coupe aux lèvres. Lors de la conférence annuelle des conservateurs, la Première ministre britannique, Theresa May, a annoncé une rupture avec l’ultra-libéralisme initié par sa formation à la fin des années 1970. Autant dire que la déclaration d’automne, qui donne les orientations budgétaires, étaient très attendue. Cet Autumn Statement devait traduire en actes le virage étatiste mené par la nouvelle dame de fer du Royaume-Uni. S’il s’inscrit bien dans la préparation du Brexit, avec des prévisions de croissance revues à la baisse, il faudra repasser pour voir des services publics renforcés, hors évidemment la défense et les gardiens de prison.
Le National Health Service est ainsi le grand absent des 72 pages que compte le document clé de la politique du gouvernement. Une absence d’autant plus singulière que 2015 a été marquée par un déficit record pour le service public de santé qui fait la fierté de la Grande-Bretagne. Il manque 4,2 milliards de livres au 31 décembre 2015 pour que le NHS voit ses comptes à l’équilibre. Malgré les promesses de la campagne référendaire, qui avançaient 350 millions de livres versées chaque semaines à la vénérable institution ; malgré les effets d’annonce, le NHS ne bénéficiera d’aucun crédit supplémentaire.
Les déclarations du chancelier de l’Echiquier, Philip Hammond, selon lesquelles le NHS bénéficierait de 10 milliards de livres « d’ici la fin du parlement » (c’est-à-dire d’ici les élections générales de 2020) attendront, au bas mot, le budget 2017 pour être vérifiées. Ce, alors que le service public de santé souffre d’une des plus graves crises de financement de son histoire. Si Philip Hammond a brièvement évoqué le sujet lors de sa déclaration jeudi 24 novembre, l’examen des écrits officiels laisse songeur.
Luciana Berger, membre travailliste du parlement et spécialiste des questions de santé, déplore ainsi :
« Le chancelier ne peut pas ignorer que nos services de santé et nos services sociaux sont en crise et souffrent de graves déficits (…) Il n’y a pourtant aucune mention des mots NHS, santé publique, santé mentale, protection sociale dans les 72 pages de l’Autumn statement. »
Le quotidien de centre-gauche The Independant a confirmé les affirmations de la parlementaire travailliste. Selon les observateurs indépendants et sur la base des projections fournies par les services du Trésor, la hausse de 10 milliards de livres promise serait, finalement, plus proche de 2,9 milliards. Encore faudra-t-il qu’elle soit vérifiée et que les prévisions annoncées par le chancelier de l’Echiquier soient tenues.
Elles ont été considérablement revues à la baisse depuis le budget présenté par son prédécesseur, George Osborne, au printemps 2016. En quelques mois, les perspectives budgétaires se sont assombries et Philip Hammond évoque un déficit aggravé par rapport à ce qui avait été promis en mars dernier. La dette publique croît de 84.2% en 2015 à 87.3% à la fin 2016 pour atteindre 90.2% en 2017-2018. Ce, malgré le maintien du plan d’austérité voté par les conservateurs en 2015. Seuls les secteurs de la défense et de la sécurité sont épargnés. Le chancelier de l’Echiquier a même annoncé 2,500 créations de postes… de gardiens de prison. Pour celles et ceux qui ont cru aux promesses de relance par les services publics, l’amertume est au rendez-vous. La dépense publique fin 2016 sera de 40% du PIB contre 45% en 2010…
Il faudra donc vérifier sur d’autres secteurs la concrétisation de l’état stratège promis par Theresa May. Son bras droit a maintenu l’objectif d’augmentation du salaire de vie national, qui devrait passer de 7.20 à 7.50 livres par heure en avril 2017. Le très respecté Institute for fiscal studies (IFS), un organisme indépendant qui scrute la réalité des budgets présenté, a annoncé « des temps épouvantables à venir ». Il a aussi invalidé les effets d’annonce du chancelier de l’Echiquier en se basant sur les chiffres mêmes du gouvernement.
Selon l’IFS, « le salaire réel n’augmentera pas pendant une décennie ».
En effet, les coupes annoncées dans les diverses allocations versées aux salariés sont maintenues, ce qui empêche que le pouvoir d’achat progresse en relation avec la hausse nominale du salaire de vie.
Certes, les conservateurs annoncent un effort important en matière de logement. Un premier fonds supplémentaire de 3,2 milliards de livres doit « aider » à la construction de 100,000 nouveaux logements tandis que 1.4 milliards de livres devront permettre de livrer 40,000 logements à bas abordables. La crise du logement est une réalité très cruelle au Royaume-Uni et les besoins seront loin d’être couverts par cette manne financière. Par contre, le financement du développement des Grammar Schools, ces écoles pour élèves méritants qui sont au cœur de la fracture sociale britannique, est bien assuré.
Enfin, le gouvernement conservateur a évoqué 23 milliards de livres, d’ici à 2020, pour développer l’innovation et les infrastructures. Il faudra encore attendre le printemps prochain pour savoir comment il compte affecter, réellement, ces fonds importants.
Le parti travailliste a eu beau jeu de tirer à vue sur cet Autumn statement. L’opposition a lourdement insisté sur le saccage du NHS et de la protection sociale, pendant que les mesures visant à renforcer les inégalités, elles, étaient correctement financées. Le shadow chancelier de l’Echiquier, john McDonnell, y a vu la vérification de « l’échec infâme de six ans de gouvernement conservateur ».
John McDonnell a également déclaré que cette déclaration d’automne prouve que « le gouvernement affronte le brexit sans aucune anticipation ni préparation ».
Nathanaël Uhl