Les ressortissants européens à l’origine du premier revers de Theresa May sur le Brexit
Ce n’est pas une surprise. Alors que la première ministre Theresa May dispose d’une – encore – solide majorité à la Chambre des communes, la chambre des Lords s’affirme comme l’opposition aux politiques conservatrices. Mercredi 1er mars, les pairs du Royaume-Uni ont infligé à la chef du gouvernement son premier revers majeur. En adoptant un amendement enjoignant le gouvernement à protéger les ressortissants de l’Union européenne vivant en Grande-Bretagne, ils ont enrayé une machine que rien ne semblait pouvoir arrêter.
La chambre haute du parlement britannique a voté, par 102 voix de majorité, un article pour faire respecter les droits des quelque 3.3 millions de ressortissants de l’Union européenne résidant dans le royaume. Cette modification a pour conséquence de nécessiter un nouveau vote à la Chambre des communes. Ce qui risque de retarder l’agenda sur lequel Theresa May s’est accordée : déclenchement de l’article 50 à la fin du mois de mars, pour ouvrir la période de deux ans de négociations avec l’Union européenne.
Dans un pays traditionnellement ouvert au monde comme la Grande-Bretagne, le sort des 3.3 millions d’Européens vivant sur son sol n’a pas manqué d’émouvoir une partie de la classe politique. Déjà, au lendemain du référendum qui s’est soldé par la victoire du Brexit, la police a signalé une vague de hate crimes, les actes xénophobes, ciblant particulièrement la communauté polonaise.
Depuis, les témoignages se sont multipliés quant à la dégradation des conditions de vie des Européens, particulièrement ceux installés depuis des années en Angleterre. Ainsi, Monique Hawkins, une Néerlandaise mariée à un Britannique avec qui elle a eu deux enfants s’est vue menacer d’être renvoyée dans son pays.
Le 1er mars, à l’approche du vote des Lords, la panique s’est emparée de ceux qui représentent 5% de la population vivant en Grande-Bretagne. En effet, un homme de loi a publié une analyse des conditions à remplir pour continuer à vivre au Royaume-Uni, conditions modifiées un mois plus tôt.
Elles feraient apparaître un changement en apparence anodin : les ressortissants européens seraient obligés de disposer d’une Comprehensive Sickness Insurrance (CSI – une assurance complémentaire de santé), faute de quoi ils pourraient être renvoyés dans leur pays ou se voir interdits le droit au retour en Grande-Bretagne s’ils partaient en vacances.
Le Home Office (ministère de l’Intérieur) a aussitôt démenti en évoquant une « interprétation erronée des textes ». Un porte-parole du ministère a du ajouter :
« Tant que nous sommes membres de l’Union européenne, le droit des ressortissants européens à résider en Grande-Bretagne reste inchangé et ils n’ont pas besoin de remplir des conditions supplémentaires pour rester. »
Ces précisions montrent que le gouvernement britannique a pris la mesure du désarroi des ressortissants européens vivant sur son sol, parmi lesquels on compte environ 300.000 Français. Les difficultés ne seraient pas que le fruit d’une mauvaise interprétation des textes. La dégradation de la situation des expatriés a suscité l’attention du Parlement européen qui envisage de mettre en place une commission d’enquête sur le sujet.
L’europarlementaire néerlandaise Sophie in ‘t Veld, vice-présidente du groupe libéral à Strasbourg, a annoncé son intention de créer cette commission dès que le gouvernement Britannique aura activé l’article 50. Elle a également souhaité que Londres soit convoqué devant la commission des libertés civiles du parlement européen pour évoquer « le mur bureaucratique » auquel seraient confrontés les ressortissants européens.
Si l’émoi est grand côté expatriés, il n’est pas moindre dans une partie de la population britannique. L’histoire du Royaume-Uni est en effet celle d’une terre d’accueil qui s’enorgueillit d’avoir donné refuge aux protestants français après la révocation de l’édit de Nantes par Louis XIV mais aussi aux victimes de persécutions politiques au fil des siècles.
C’est notamment au nom de ce passé que 358 Lords contre 256 ont voté l’amendement de la discorde. Les défenseurs de l’article visant à réaffirmer la protection des ressortissants européens après que le Brexit soit rentré en vigueur (donc après 2019) en appellent en effet à la morale et aux principes libéraux qui font l’honneur de leur pays.
Farouche défenseure de l’amendement, la baronne Molly Meacher, une pair non inscrite, se montre confiante dans le fait que les membres conservateurs du parlement voteront le texte dans les mêmes termes :
« Je pense que vous pouvons gagner aux Communes, sur la base de la morale et des principes. Les élus conservateurs sont généralement des personnes de principes. »
Côté gouvernement, on ne masque pas une forme de « déception ». C’est en effet un premier accroc de taille à la ligne dure qui est celle de Theresa May depuis son arrivée à Downing Street. S’il y a peu de chances que les Communes reprennent à leur compte l’amendement des pais du Royaume, ce vote écorne l’image encore un peu plus l’image rassurante que souhaitait donner la Première ministre.
Et il va lui falloir bousculer l’agenda déjà bien chargé de la chambre basse du parlement. Un contretemps dont le gouvernement se serait bien passé.