Du propos sexiste au viol, quarante parlementaires britanniques mis en cause
Une réunion au sommet. La semaine prochaine, à l’invitation de la première ministre, Theresa May, les leaders des partis représentés à la chambre des Communes, se rencontreront au 10 Downing Street. La multiplication de plaintes contre des membres du parlement pour harcèlement ou agressions sexuelles – voire viol – a amené la chef du gouvernement à convoquer cette réunion en urgence. Alors que le Defence Secretary (ministre de la défense) Michael Fallon a démissionné en raison de son « comportement passé » (sic), d’autres pourraient suivre.
Pas moins de quarante parlementaires seraient mis en cause, dont bon nombre par leurs collaboratrices. Ce sont d’ailleurs ces dernières qui, dans la foulée du scandale Weinstein, ont dressé une liste nominative des élus harceleurs. Les assistants et assistantes des membres du parlement britannique sont salariés directement par les élus pour lesquels ils travaillent. Ils se trouvent de fait dans une situation de dépendance vis à vis de leur employeur. Il semble, cependant, que les accusations d’abus à caractère sexuel puissent désormais devenir publiques, entraînant des démissions en nombre.
La première est donc celle d’un membre du gouvernement et pas n’importe lequel. Michael Fallon était en poste à la Défense depuis 2014, traversant deux cabinets Cameron et survivant sous Theresa May. Il a présenté sa démission mercredi 1er novembre. Officiellement, il admet avoir eu une attitude déplacée envers la journaliste Julia Hartley-Brewer. Il concède lui avoir fait des « avances non souhaitées » en mettant sa main sur le genou de la professionnelle. Dans sa lettre à la première ministre, il précise :
« Durant ces derniers jours, plusieurs allégations ont fait surface concernant des membres du parlement, notamment sur mes actes passés. Beaucoup d’entre-elles sont fausses mais j’accepte que, par le passé, je n’ai pas été à la hauteur des hautes exigences morales que nous demandons à nos forces armées. »
Ces propos ne permettent pas de savoir si Michael Fallon a commis d’autres actes répréhensibles dans ses rapports avec les femmes.
En la matière, le premier a avoir été puni est Jared O’Mara, élu lors du scrutin général de 2017 à Sheffield-Hallam. Le jeune parlementaire a été suspendu du parti travailliste pour une série de commentaires à caractère sexiste, qu’il reconnaît avoir tenus au tournant des années 2010. Il a présenté des excuses publiques mais le caractère répété des propos offensants a conduit le Labour à lancer une enquête approfondie sur l’ancien activiste du handicap. Sa suspension a été décidée mercredi 25 octobre. Le leader travailliste, Jeremy Corbyn a rappelé, à plusieurs reprises, qu’il était partisan d’une ligne dure sur les cas de « méconduite sexuelle », allant de propos sexistes à viol. C’est ce qui a valu à Simon Danczug d’être exclu du parti.
Toujours au Labour, l’émoi est immense ce mercredi 1er novembre. Ancienne membre du National Executive Committee (NEC – organe de direction et de régulation du parti), Bex Bailey a dénoncé un viol dont elle a été victime en 2011 lors d’un événement organisé par le parti. Dans les jours qui ont suivi, un baron travailliste lui aurait ensuite glissé que « dénoncer l’agression (pourrait) nuire à sa carrière ». De 2013 à 2016, Bex Bailey représentait le Young Labour au sein du NEC. Elle est connue et respectée pour son engagement en faveur de l’égalité et contre le harcèlement sexuel.
Après ses déclarations du 31 octobre, le Labour a décidé de lancer une enquête indépendante. Nombre de militants travaillistes, de toutes sensibilités, ont manifesté leur solidarité envers la jeune femme. Assurément, son cas devrait faire école alors que, Jared O’MAra inclus, trois membres du parlement élus sous l’étiquette du Labour font l’objet d’accusations sur la manière dont ils se conduisent avec leurs collaborateurs.
Chez les conservateurs, c’est une grenade à fragmentation qui a été dégoupillée. A l’heure où ces lignes sont écrites, ce sont 37 membres du parlement tory – dont des membres du cabinet de Theresa May – qui feraient l’objet de mises en cause. Dont un pour viol. Ce mercredi 1er novembre, deux anciennes collaboratrices d’élus tory ont témoigné dans la presse sous couvert d’anonymat. L’une affirme que le parlementaire pour lequel elle travaillait l’aurait surprise par derrière et l’aurait agrippée par le bas ventre. L’autre rapporte que son employeur aurait versé une substance stupéfiante dans son verre lors d’un moment de détente au bar des membres du parlement. Dans les deux cas, la police aurait confié « ne rien pouvoir faire », précisant que ces accusations « ne constitueraient pas une première ».
La situation des tories sur ce dossier est particulièrement délicate. Selon le London Evening Standard, quotidien dirigé par l’ancien chancelier de l’Echiquier conservateur George Osborne, les backbenchers auraient bloqué une tentative de moralisation initiée par David Cameron, alors premier ministre. Ce dernier aurait proposé en 2014 aux membres de son groupe parlementaire de signer une déclaration de bonne conduite, notamment en direction des collaborateurs parlementaires. Le puissant 1922-Committee, qui rassemble les membres du parlement tory, aurait fait capoter la démarche.
C’est dans ce contexte qu’intervient la démarche de Theresa May pour mettre en place, avec les leaders des autres partis, une nouvelle approche pour prévenir les agressions sexuelles au sein de Westminster. Las, la première ministre ne semble pas la mieux placée pour que les actes s’accordent aux propos. Lisa Nandy, élue travailliste de Wigan, accuse la locataire du 10 Downing Street d’inaction répétée sur le sujet. Le tabloïd de centre-gauche The Mirror rapporte qu’elle aurait « à trois reprises alertée Theresa May, alors Home Secretary, sur les agissements des membres du parlement » en 2014. « A trois reprises, elle n’a rien fait », martèle la jeune parlementaire.
Lisa Nandy estime qu’il est possible que les whips (membres du parlement chargés de la discipline dans leurs groupes respectifs) puissent utiliser les scandales comme moyens de pression sur les élus, comme cela se faisait dans les années 70. Une chose est sûre, au vu de la liste des parlementaires impliqués et de leur qualité, Westminster ne peut pas se permettre de ne rien faire sur le dossier des violences sexuelles en son sein.