Universal Credit : la « poll tax » de Theresa May
A l’approche de l’hiver, les banques alimentaires du Royaume-Uni tirent le signal d’alarme. Elles annoncent déjà qu’elles devront lutter pour faire face à la flambée des besoins d’urgence autour des fêtes de Noël. La raison de ce cri de détresse tient en deux mots : Universal Credit. Cette réforme du système de solidarité britannique a certes connu un échec cinglant à la chambre des Communes en octobre dernier. Mais les conservateurs espèrent toujours pouvoir généraliser un dispositif expérimenté dans divers comtés du pays depuis 2011. Il doit d’ailleurs être déployé dans 60 sites supplémentaires en ce mois de novembre.
Universal Credit est supposé unifier en une seule six allocations existant aujourd’hui dont les allocations logement et chômage ainsi que les crédits d’impôts. On s’y inscrit uniquement en ligne. Le but officiel est de simplifier le système britannique d’aide sociale et d’inciter les bénéficiaires à chercher du travail. Le premier problème est que les bénéficiaires doivent attendre au moins 42 jours avant que Universal Credit ne leur soit versé ; en pratique, le délai tourne plutôt autour de 60 jours… Cela cause, entre autres, une flambée des arriérés de loyers et le recours massif aux banques alimentaires.
Selon Trussell Trust, la plus importante d’entre-elles, la fréquentation a augmenté de 30% dans ses centres implantés dans des zones où Universal Credit fonctionne déjà. Dans les sites où le système classique est encore en vigueur cette hausse est contenue à 12%… Témoin de la gravité de la situation sociale en Grande-Bretagne, les 428 centres du Trussell Trust ont distribué 587,000 paquets d’urgence contenant trois jours de nourriture depuis avril. 2017 semble devoir devenir une année record en matière de distribution alimentaire d’urgence.
Le déploiement de Universal Credit est en passe de tourner au fiasco. Y compris économiquement. Alors qu’un de ses initiateurs, Chris Grayling alors mnistre de l’emploi, avait estimé le coût de cette mesure à 2.2 milliards de livres, il atteindrait aujourd’hui 15.8 milliards… Signe que le gouvernement est préoccupé, le Department for Work and Pensions (le ministère du travail et des affaires sociales) a décidé d’ester en justice pour bloquer la parution de rapports concernant la mesure phare de la politique sociale des conservateurs.
Le parti travailliste a fait de la lutte contre Universal Credit son cheval de bataille en matière de politique intérieure. En lien avec les syndicats, il a lancé une pétition demandant la suspension et la modification du dispositif. La motion demandant la pause du déploiement de Universal Credit a été votée par 299 voix contre 0 ; un membre conservateur du parlement a joint sa voix à celle des travaillistes. Ce vote unique permet de ne pas rendre nul le scrutin parlementaire et offre une victoire morale aux travaillistes.
Certes, le succès est symbolique car non contraignant. Et la première ministre refuse de repousser la généralisation du dispositif. Mais elle met en lumière les difficultés politiques que rencontre le gouvernement sur ce sujet. Même le très conservateur Daily Telegraph émet des réserves sur ce qui apparaît désormais comme la « Poll Tax » de Theresa May. La « poll tax », après avoir jeté des milliers de manifestants dans les rues, avait précipité la chute de Margaret Thatcher au début des années 90.
Alors que 25 parlementaires tory ont appelé à « ralentir » et à « adoucir » le déploiement de la réforme de l’aide sociale initiée par George Osborne et Iain Duncan-Smith, l’ancien premier ministre John Major est sorti de sa réserve. Souhaitant que « le parti (conservateur) montre à nouveau son coeur », il a proposé de mettre Universal Credit en pause pour en corriger les « perversions ».
Parmi les aspects toxiques du système, outre les délais de paiement quand un bénéficiaire intègre Universal Credit, la fin du calcul annuel des revenus pose problème. En effet, si un travailleur pauvre vient à gagner un peu plus un mois, y compris par un abattement d’impôts (qui est considéré comme un revenu par la réforme), il se voit privé d’allocations le mois suivant.
C’est ce qui est arrivé à Siobhán O’Connor, nouvellement enceinte, qui n’a pas été avertie que la remise de 300 livres d’impôts dont elle a bénéficié la priverait d’allocations le mois suivant. Elle a donc acheté de quoi préparer l’arrivée de son enfant avant de se retrouver dépourvue de toutes ressources. La multiplication de ce genre de situations commence à retourner l’opinion contre une mesure qui était auparavant populaire.