Parti travailliste : des statuts pour maintenir les équilibres de pouvoir
Avec 552.000 membres, le parti travailliste est désormais le parti européen de gauche qui compte le plus d’adhérents. Il est probable qu’il soit tout simplement le parti européen dont les effectifs sont les plus importants, cela sans inclure les adhérents des syndicats affiliés.
Il convient de rappeler, pour comprendre ses statuts, quelle est l’origine du Labour party. Au début du 20e siècle, deux partis se partagent le pouvoir : Conservateurs et Libéraux. La classe ouvrière organisée au sein de ses syndicats n’a aucune représentation politique. Aussi, le Trade Union Congress (le congrès des syndicats) décide de créer un parti nouveau, pour assurer sa représentation au sein du parlement. C’est ainsi que naît le Parti travailliste, comme émanation directe des syndicats. Il va grossir rapidement et amalgamer des « sociétés socialistes », comme la célèbre Fabian Society. Mais les syndicats ont, statutairement, un poids dans l’appareil travailliste qui les rend incontournables pour tout choix stratégique, du leader du parti à son orientation. En échange, les syndicats en assurent une partie majoritaire du financement du parti : un chiffre qui tourne autour de 80%.
Le travaillisme britannique, en lien avec l’histoire de ce pays, est un est réformisme parlementariste créé par les syndicats.
Trois partis en un
Le Labour est en fait la confédération de trois partis en un seul :
- Le parti parlementaire (Parliamentary Labour party, qui comprend les membres du parlement ainsi que les eurodéputés) ;
- Les adhérents de base réunis dans leurs constituencies, les circonscriptions électorales de la chambre des Communes ;
- Les syndicats affiliés, membres du Trade Union Congress.
L’ensemble est maintenu en cohérence par le National Executive Committee (NEC) qui est à la fois l’organe de direction administrative et politique du parti, entre deux congrès.
A cet ensemble se rajoutent donc le Co-operative Party, un parti associé dont les adhérents sont considérés comme membres du Labour, et les Socialist societies mais elles sont soumises au même fonctionnement et ne disposent que d’un poids marginal.
Les pouvoirs au sein du Labour
Le pouvoir théorique est collégial, c’est celui du congrès annuel du parti. Entre deux réunions, il est exercé par le National Executive Committee. Ce dernier reflète la diversité des composantes du parti et l’équilibre fragile entre ses composantes. Les membres du NEC sont désormais au nombre de 42 :
- Leader du Labour Party ;
- Deputy Leader ;
- Trésorier du parti (élu par les adherents, il est issu des syndicats – qui sont les principaux financiers du parti. La trésorière depuis 2010 est Diana Holland, secrétaire générale adjointe du syndicat Unite) ;
- 3 membres du Front Bench (désignés par le Shadow Cabinet) ;
- Le leader des eurodéputés travaillistes ;
- Un représentant du Young Labour, élu par les adhérents de l’organisation de jeunesse ;
- 13 représentants des syndicats désignés par leurs organisations ;
- Deux membres des sociétés socialistes et un représentant des minorités ethniques ;
- Douze membres des CLPs, élus par les adhérents sur un scrutin de liste, à la cohérence politique (proches du leader contre opposants, gauche contre droite) ;
- Deux élus locaux nominés par leurs pairs ;
- 3 membres du parlement ne siégeant pas au shadow cabinet et du parlement européen désignés par le PLP ;
- Le leader du Scottish Labour et celui du Welsh Labour, ou un de leurs représentants.
Le secrétaire général du NEC est un permanent politique qui ne participe pas aux décisions du NEC, même s’il a la responsabilité partagée de l’ordre du jour. A noter que les membres du NEC élus le sont de manière déconnectée des congrès.
Le président du Labour, chair of the party, est élu pour un an par le NEC en son sein. Il en préside les réunions ainsi que les congrès annuels. Le leader ne peut pas être chair du parti.
Les congrès ont deux rôles majeurs : ils décident des orientations politiques et décident des modifications aux statuts du parti. Ils sont totalement déconnectés des questions de pouvoir même s’ils entérinent l’élection du leader et du deputy leader.
Le système de Westminster, qui fait du leader d’un parti le Premier ministre ou le Chef de l’opposition, concentre beaucoup des pouvoirs aux mains du leader, aujourd’hui Jeremy Corbyn. Théoriquement, il décide l’orientation politique, puisqu’il est élu sur une base politique. Il propose et impulse les modifications statutaires et dispose d’un rôle non négligeable dans les propositions d’ordre du jour des congrès et dans la rédaction du manifesto, le programme électoral du parti. Le fait que le leader travailliste soit désormais élu au suffrage universel des adhérents lui confère un mandat et, donc, un rôle prééminent dans ces deux domaines.
Depuis la réforme des statuts menée par Ed Miliband en 2011, le leader est élu par les membres de trois collèges électoraux :
- Les adhérents directs ;
- Les supporters enregistrés (que l’on peut rapprocher des électeurs de la primaire de gauche en France, dans l’esprit) ;
- Les membres des syndicats affiliés qui décident de participer au vote.
Auparavant, les candidats au leadership son désignés au sein du PLP : pour pouvoir concourir, ils doivent obtenir chacun le parrainage de 15% des membres du parlement.
Ce processus vaut aussi pour le deputy leader, le leader adjoint. Ce dernier est, très souvent, d’une sensibilité politique différente de celle du leader.
Une quête d’équilibre
Au-delà de la lettre, dans la société de droit oral qu’est la Grande-Bretagne, c’est l’esprit qui importe. Le fond de la pratique travailliste, mise en lumière par le fait que le deputy leader ne soit pas de la même sensibilité que le leader, c’est qu’un homme ou une faction ne puissent pas détenir tous les pouvoirs.
- Les trois composantes du parti : PLP, CLPs et syndicats s’équilibrent ;
- Le PLP fait contre-pouvoir au leader, dont ce dernier est pourtant issu ;
- Le financement par les syndicats minore le poids du PLP qui est prépondérant dans l’élaboration du programme électoral, le manifesto, mais aussi parce que nous sommes dans un système parlementaire.
En ce sens, le Parti travailliste est un produit de l’histoire politique britannique, marquée par la recherche d’un équilibre entre pouvoir d’un homme (le souverain, puis le premier ministre dans les faits) et le parlement.