La démission de Justine Greening expose la faiblesse de Theresa May
ANALYSE. Tout devait bien se passer. Les Whips (membres du parlement chargés de la discipline de groupe et du respect des consignes) et les permanents du parti conservateur étaient sensés avoir déminé le terrain. Las, le remaniement ministériel de Theresa May a d’abord percuté l’obstacle Jeremy Hunt. Le secrétaire d’Etat à la santé a refusé de quitter son poste. Puis Justine Greening, représentante de l’aile moderniste des tories, a préféré démissionner plutôt que de quitter l’Education. Les promotions de junior ministers (membres secondaires du gouvernement) attendues aujourd’hui ne permettront pas de masquer le fiasco pour Theresa May que constitue cette tentative avortée de reprendre la main.
Attachée à redorer l’image des conservateurs auprès du milieu enseignant, sceptique sur le retour en force des Grammar Schools (écoles publiques extrêmement sélectives), Justine Greening a refusé de quitter son poste de secrétaire d’Etat à l’Enseignement. Plutôt que d’accepter celui du Travail et des pensions, elle a préféré démissionner, au grand dam de Theresa May. La première ministre perd ainsi la dernière représentante de l’aile progressiste des conservateurs au sein de son gouvernement. Son départ a été regretté par d’autres figures modernistes du parti tory telles que Heidi Allen ou Ruth Davidson, leader des conservateurs écossais.
Justine Greening n’aura pas réussi à faire entendre sa voix, contrairement à Jeremy Hunt. Le secrétaire à la santé, parent éloigné de la reine Elizabeth II, n’aura eu besoin que d’une grosse heure pour faire valoir ce qu’il estime être ses droits et obtenir un ministère étendu à l’aide sociale. Quand on siège au gouvernement de Theresa May, il vaut mieux être un homme et issu d’une « bonne famille » qu’une femme qui plus est homosexuelle.
Pour couronner le tout, moins de 24 heures après avoir pris sa défense, Theresa May a été contrainte d’accepter la démission de Toby Young. Ce proche de Boris Johnson occupait la direction du bureau chargé des étudiants, Office for students, la nouvelle autorité administrative chargée de l’enseignement supérieur. Nommé il y a une semaine, Toby Young, ancien chroniqueur dans la presse, s’est signalé par des tweets sexistes. Il a quitté son poste ce 9 janvier au matin.
Sur le fond, le remaniement devait être une démonstration de force pour la première ministre après une séquence internationale plutôt réussie. Mais elle a du revenir sur terre. Nul ne la croyait capable de s’attaquer aux big boys que sont Philip Hammond et Boris Johnson. Confrontée aux ambitions personnelles de son secrétaire d’Etat à la santé, elle a montré au grand public l’étendue de sa faiblesse politique.
Elle réussit certes à placer un de ses proches à la tête du parti conservateur mais ce poste est on ne peut plus précaire. Il semblerait, à la lecture des indiscrétions dont la presse britannique est friande, que la nomination de Bradon Lewis soit un choix second. Au départ, Chris Grayling aurait bel et bien été sélectionné pour le rôle où sa poigne aurait été utile à la première ministre. Las, la base parlementaire conservatrice, qui goûte peu les manières autoritaires du bonhomme, aurait fait échouer la manoeuvre.
La situation est doublement problématique pour Theresa May. Primo, elle montre à Bruxelles qu’elle n’a aucune autorité sur ses troupes. Les éditorialistes britanniques ironisent sur sa capacité à discuter avec Bruxelles quand elle se révèle « incapable de négocier avec Jeremy Hunt ». Plus grave encore, la leader des tories se prive, avec ce remaniement raté, de la possibilité d’un changement gouvernemental à l’issue des élections locales de mai prochain, quel que soit le résultat de ce scrutin.
Ce matin, les backbenchers conservateurs ont du mal à masquer leur désarroi. Ainsi, le très loyaliste Sir Nicholas Soames, membre du parlement pour Mid Sussex, a tweeté :
« Je ne voudrais pas paraître impoli ou déloyal mais nous avons besoin d’une amélioration majeure dans le remaniement ».
Au final, seule la sensibilité pro européenne sort renforcée de cette « nuit des fourchettes en plastique« , selon le mot de Gary Gibbon, éditorialiste politique de la chaîne Channel 4. David Lidington, partisan d’un brexit soft, assure désormais la coordination des différents départements ministériels. Allié de facto de Philip Hammond sur le sujet, Lidington dispose d’une placé clé dans le gouvernement pour empêcher un Brexit dur.