Brexit : la guerre civile entre conservateurs déborde sur la place publique
Le goût des conservateurs britanniques pour les querelles internes se révèle toujours plus puissant que toute autre considération. Alors que la chambre des Communes a voté la loi portant sortie de l’Union européenne, la première ministre pouvait rêver d’avoir les coudées franches pour négocier avec l’Union européenne. Las, il n’en est rien. Il aura suffi d’un discours de Philip Hammond, chancelier de l’Echiquier et partisan d’un Brexit soft, pour relancer la guerre intestine.
De passage au forum économique mondial de Davos, le numéro deux du gouvernement a estimé que le gouvernement chercherait à ce que les changements dans la relation avec l’Union européenne soient les plus « limités ». La brutalité de la réaction des brexiters conservateurs a amené Theresa May à prendre ses distances vis-à-vis d’un Philip Hammond dont elle ne parvient toujours pas à se débarrasser. Le recul de la locataire de Downing Street n’a pas calmé les esprits. Au contraire, des voix se sont élevées pour exiger la démission du chancelier de l’Echiquier.
Plusieurs membres tory du parlement ont rappelé, à l’image de l’ancien membre du cabinet Owen Paterson :
« Le manifeste du parti conservateur a obtenu 13.7 millions de suffrages sur une plateforme comportant la sortie du marché unique et de l’union douanière ».
Quelques jours plus tôt, le partisan d’un Brexit dur Boris Johnson avait utilisé la réunion hebdomadaire du cabinet, à laquelle ne participaient ni Theresa May ni Philip Hammond, pour réclamer 5 milliards de livres supplémentaires en faveur du National Health service. Une manière de réitérer son propos tenu lors de la campagne référendaire, quand il clamait que la sortie de l’UE permettrait de débloquer 350 millions de livres par semaine pour le service public de santé. Cette sortie a été jugée déloyale par les partisans de la ligne Hammond.
Mais force est de constater que ce sont les adeptes de la sortie la plus radicale qui sont le mieux organisés au sein du parti conservateur. Ils ont créé leur propre groupe au sein de la chambre des Communes, dont Jacob Rees-Mogg, un temps pressenti pour succéder à Theresa May, a pris la tête. Ils sont bien décidés à imposer leur propre agenda à une première ministre toujours aussi affaiblie politiquement.
Eurosceptique discrète, soutien du maintien lors du référendum par loyauté vis-à-vis du premier ministre d’alors David Cameron, elle n’a toujours pas expliqué clairement quel but elle cherche à atteindre dans ses discussions avec l’Union européenne. L’encore leader des conservateurs se contente de marteler en boucle « le Brexit c’est le Brexit ». Sans préciser comment elle va y parvenir.
Certes, des petites touches apparaissent ici et là, qui permettent de deviner sa direction. L’introduction d’un article permettant de rejoindre une union douanière après le Brexit laisse entendre qu’elle ne souhaite pas rompre tout lien avec l’Union européenne. Son voyage officiel en Chine à partir de mercredi amène à penser qu’elle tâche de renforcer les partenariats commerciaux alternatifs à l’Europe.
Cette absence de clarté sur une ligne politique n’est pas du goût de Bruxelles. Elle explique la fragilité de la position de Theresa May au sein du parti conservateur. Mais c’est aussi probablement cette faiblesse dans les rapports de force internes qui conduisent la leader tory à ne pas dévoiler son jeu. Moins elle en dit, moins elle peut prendre des coups. Et, pour l’heure, les figures les plus exposées sont toujours Hammond d’un côté et Johnson de l’autre. Les deux se neutralisant.
Cela dit, l’entre-deux ne saurait durer éternellement. En ce début de semaine, alors que le texte de loi portant sortie de l’Union européenne arrive à la chambre des Lords, un premier ultimatum a émergé. En clair, Theresa May dispose de trois mois pour affirmer sa position ou elle pourrait faire face à une motion de défiance. Trois mois, c’est aussi le temps qu’il reste avant les élections locales de mai prochain.
En attendant, le comité constitutionnel de la chambre des Lords affirme que la loi de retrait de l’UE nécessite « une sérieuse réécriture ». Selon les pairs, le texte actuel ne donne pas de certitudes sur la manière dont le droit européen est retranscrit dans la loi britannique. Et la chambre haute du parlement devrait voter une « motion de regret » en raison du refus de consulter une nouvelle fois les électeurs.