Brexit : un rapport gouvernemental confirme les prévisions les plus sombres pour l’économie
On comprend mieux pourquoi David Davis a refusé de donner les informations détaillées. Selon BuzzFeed, repris par l’agence Reuters, le Department for Exiting the European Union (DExEU – Département consacré à la préparation de la sortie de l’Union européenne) a bien travaillé une étude détaillée d’impact sur l’économie britannique. Trois scénarios ont été étudiés : un accord de libre-échange avec l’UE, l’absence de tout accord et l’appartenance au marché commun. Dans tous les cas, à quinze ans, la croissance du Royaume-Uni sera plus faible que celle des autres pays. Le DExEU a expliqué qu’il avait refusé de rendre ces études publiques parce que leurs résultats sont « embarrassants ».
Les principaux enseignements de ce rapport, qui serait toujours en cours de finalisation selon les services de Whitehall (où siègent les services administratifs du gouvernement), sont assez précis. Rédigés en janvier 2018, ils sont rassemblés dans un document intitulé « EU Exit Analysis – Cross Whitehall Briefing » (Analyse de la sortie de l’Union européenne – rapport transversal de Whitehall). Trois scénarios les plus probables ont été détaillés :
- Dans le cadre d’un accord global avec l’Union européenne, la croissance britannique, à 15 ans, serait inférieure de 5 points aux prévisions actuelles.
- En cas d’absence d’accord et donc de retours aux règles de l’Organisation mondiale du commerce (OMC), la chute serait de 8 points sur la même période de 15 ans, toujours par rapport aux prévisions actuelles.
- Enfin, dans le cadre du maintien dans la zone économique européenne, via le marché unique, la croissance du Royaume-Uni ne perdrait que deux points par rapport aux prévisions.
Les services de Whitehall précisent que ces estimations ne prennent pas en compte les mesures de court-terme telles que le coût de l’adaptation de l’économie aux nouvelles règles douanières. Le rapport, que BuzzFeed s’est procuré, détaille l’impact par secteurs géographique et d’activités.
- Dans les trois scénarios, tous les pans de l’économie britannique seraient quasiment affectés de manière négative. La chimie, l’industrie du vêtement, la construction (déjà sérieusement mise à mal par la chute de Carillion), l’agro-alimentaire et le secteur automobile seraient les plus touchés. Seule l’agriculture pourrait être épargnée, dans le cas d’un retour aux règles de l’OMC.
- Quel que soit le scénario retenu, l’ensemble du Royaume-Uni serait impacté de manière négative. Alors qu’elles se remettent à peine de la désindustrialisation des années 80, les régions du Nord-Est de l’Angleterre, des West-Midlands et l’Irlande du Nord pâtiraient le plus de la sortie de l’UE. Concernant l’Ulster, le rapport n’a pas travaillé la perspective du rétablissement d’une frontière physique avec la République d’Irlande.
- Le statut de Londres comme centre financier mondial serait sérieusement « dégradé ». Les résultats des études d’impact dans le cadre d’un accord de libre-échange ne diffèrent guère des perspectives ouvertes par un retour aux règles de l’OMC.
Sur le côté positif, l’étude menée sous la direction de DExEU affirme qu’un accord de libre-échange serait conclu avec les Etats-Unis, générant 0.2 points de Produit national brut « sur le long terme ». Des accords commerciaux avec des blocs ou des pays non membres de l’Union européenne, tels que la Chine, l’Inde, les pays du Golfe ou ceux du Sud-ESt asiatique, pourraient, mis en commun, produire 0.1 à 0.4 points de PNB supplémentaires sur le long terme. D’ailleurs, Theresa May s’envole aujourd’hui pour la Chine. Elle espère sécuriser un accord avec son puissant partenaire qui aille au-delà de ce que David Cameron a déjà négocié.
Selon le rapport, c’est principalement la sortie de l’union douanière et du marché unique qui tirerait les perspectives à la baisse. Or, cette question est au coeur de la guerre civile entre conservateurs. Philip Hammond, chancelier de l’Echiquier, défend une relation avec l’Union européenne la plus étroite possible. Les Brexiters les plus durs, tels que Michael Gove et Boris Johnson, sont partisans d’une rupture totale avec le continent. Nul doute que ce rapport, dont l’existence et les conclusions ont été confirmées par un porte-parole du 10 Downing Street, va continuer à alimenter le conflit interne aux Tories.
Selon des sources internes au DExEU, le document n’avait pas vocation à être rendu public. Il devait être communiqué, en tête à tête et de manière individuelle, aux membres du gouvernement concernés dans les jours à venir et avant une rencontre du cabinet prévue la semaine prochaine. Mais le porte-parole de Theres May tâche de minorer l’impact du rapport en estimant qu’il constituerait un « brouillon (…) nécessitant encore un travail approfondi ».
En novembre dernier, David Davis, après avoir affirmé que ses services disposaient d’une étude approfondie de l’impact du Brexit sur l’économie britannique, avait fini par dire qu’un tel travail n’avait pas été mené. Finalement, on voit qu’il a encore menti. Mais on comprend mieux pourquoi.