Droit de vote des femmes : un centenaire qui n’appartient pas qu’aux suffragettes
LE DROIT DE VOTE DES FEMMES est aussi une conquête de la classe ouvrière. Il y a cent ans, le 6 février 1918, la chambre des Communes adopte le droit de vote censitaire aux femmes de plus de 30 ans. Ce premier pas vers l’égalité politique a été obtenu de haute lutte. Et si tout le monde s’accorde à reconnaître le rôle des suffragettes dans cette avancée, beaucoup oublient que les femmes de la classe ouvrière ont pris toute leur part au combat en faveur de l’expression politique.
Le Representation of the People Act permet aux femmes contribuables ou mariées à des contribuables de voter lors de toutes les élections. Le gouvernement d’alors est dirigé par Lloyd George. Le premier ministre, de même qu’une majorité des nouveaux parlementaires sont favorables au droit de vote féminin. Surtout, les femmes ont remplacé les hommes partis au combat dans bon nombre de métiers considérés comme uniquement masculins.
La littérature et le cinéma ont largement mis en lumière le rôle des suffragettes, ces femmes souvent issues des classes moyennes ou supérieures dans la lutte qui aboutira, en 1928, à la stricte égalité, dans le vote, des femmes et des hommes. La figure d’Emmeline Pankhurst, une des fondatrices de la Women’s Social and Political Union (WSPU), domine de sa stature cette période. Elle initie le mouvement des suffragettes et ses méthodes spectaculaires. Ses membres s’enchaînent à des lampadaires, s’en prennent à la police, observent la grève de la faim lorsqu’elles sont emprisonnées.
Ces moyens d’actions rompent avec celles de la plus modérée National Union of Women’s Suffrage Societies (NUWSS). Majoritairement issues de la classe moyenne, les suffragistes, dont la figure de proue est Millicent Fawcett, privilégient l’action pacifique. Elles organisent des réunions dans le pays et font du lobby auprès des membres du parlement. Mais toutes les propositions de loi initiées par les parlementaires sont repoussées jusqu’à la guerre.
L’action des deux groupes semble, finalement, s’être complétée même si, à l’époque, les méthodes parfois brutales des suffragettes ont provoqué des réactions de rejet. Elles ont provoqué des dissensions au sein même du mouvement en faveur du droit de vote et jusqu’au sein de la famille Pankhurst. Sylvia, une des filles d’Emmeline, quitte la WSPU en 1914 pour créer la East London Federation of Suffragettes. Rejetant la violence, ce nouveau groupe inscrit la réforme sociale à son agenda au même niveau que le droit de vote. Elle recrute majoritairement dans la classe ouvrière (East London est alors un quartier des plus populaires). La fédération privilégie les mobilisations de masse plutôt que les « exploits individuels ». Un séjour en prison est un prix bien trop élevé quand une femme gagne 25 shillings par semaine.
En ce sens, Sylvia Pankhurst renoue avec une des origines oubliées de la WSPU. En effet, sa première section londonienne est créée en 1906 dans le quartier de Canning Town par une ouvrière du textile originaire du Yorkshire, Annie Kenney. Pendant les années qui suivent, les ouvrières de l’Est End sacrifient leur seul jour de congé pour marcher en direction de Westminster afin de faire entendre leur voix.
Depuis plusieurs années, les femmes de la classe ouvrière s’organisent dans leurs organisations, notamment syndicales. Eleanor Marx, la fille de Karl, est une des militantes de la Women’s Trade Unions League. Elle apporte son aide à Annie Besant, autre figure féministe et socialiste britannique, qui anime la grève victorieuse chez le fabricant d’allumettes Bryant & May en 1888. Ce syndicalisme inscrit le droit de vote au nombre de ses revendications, à égalité avec l’augmentation des salaires et l’amélioration des conditions de travail.
Si les actrices du mouvement en faveur du droit de vote des femmes sont trop nombreuses pour être citées, il convient de remettre en lumière la personnalité d’Annie Besant. Femme de lettres et militante, socialiste, féministe, son combat pour l’égalité politique commence dès les années 1870. En effet, sa toute première conférence, donnée en août 1874, s’intitule The Political Status of Women (Du Statut politique des femmes) et témoigne déjà d’un féminisme radical :
« Sans le droit de vote [les femmes] ne pourraient que demander des réformes ; électrices, elles pourraient les exiger ».