Tories : partisan d’un Brexit dur, Jacob Rees-Mogg s’élève face à Theresa May
UNE DEMANDE DE RANÇON. C’est ainsi que les tories modérés ont vécu la lettre qu’a envoyé European Research Group à Theresa May. Ce groupe de pression, désormais fort de 62 membres conservateurs du parlement, a proposé une ligne de conduite en quatre points concernant le Brexit alors que le cabinet n’a toujours pas réussi à s’accorder sur une position commune. La faction, favorable à un Brexit dur, est présidé par Jacob Rees-Mogg, représentant de la constituency du North-East Somerset et dernier avatar en date d’une droite réactionnaire qui progresse partout en Europe. Et possible successeur de Theresa May comme Premier ministre de la Grande-Bretagne.
C’est par son rejet de l’Union européenne que Rees-Mogg, fils de l’ancien rédacteur en chef du Times, s’est fait connaître. Engagé en faveur de la sortie, il a multiplié les interventions sur les réseaux sociaux et dans les médias, qui lui ont valu la ferveur des jeunes militants et d’une partie de la base conservatrice, en mal de repères. La lettre à Theresa May qu’il co-signe laisse peu de doutes sur sa vision politique :
- Reprise de la maîtrise des droits de douane ;
- Autonomie totale en matière de réglementation et de (dé)régulation ;
- Négociation d’accord de libre-échange pendant la période de transition et avant même la conclusion d’un accord avec l’Union européenne.
Autant de chiffons rouges pour les négociateurs missionnés par les 27. Jacob Rees-Mogg n’en a cure. Il fait siens les propos de Theresa May quand elle déclarait : « Pas d’accord du tout est toujours mieux qu’un mauvais accord ». Le financier de haut vol, dont la fortune personnelle est estimée à 100 millions de livres, n’est pas un modéré. Loin s’en faut.
Avec ses costumes croisés ou trois pièces, sa cravate stricte et ses petites lunettes rondes, ses manières et son éducation, il incarne la haute société britannique et le toryism tel qu’il se définit à ses origines : soutien de la monarchie traditionnelle, soumission à l’église, défense des intérêts de l’aristocratie foncière. Dire que Rees-Mogg vient d’un milieu privilégié relève de l’euphémisme. Il a été élève à Eaton college puis à l’université d’Oxford dont il a présidé l’association des étudiants conservateurs.
Catholique de stricte obédience, père de six enfants, Jacob Rees-Mogg s’est positionné contre l’avortement, même en cas de viol ou d’inceste. Ce qui n’empêche pas que le fonds d’investissement dont il tire des dividendes lucratifs a pris des parts dans une société indonésienne qui produit… des contraceptifs. Il a également voté, à plusieurs reprises, contre le mariage homosexuel.
Le backbencher fait partie des parlementaires qui ont le plus enfreint les consignes de vote pendant que David Cameron était premier ministre, entre 2010 et 2016. Dépeint comme « le pire cauchemar de Cameron« , Rees-Mogg a fait capoter au moins deux projets de loi présenté par le gouvernement d’alors. Il s’est enfin opposé à la revalorisation des allocations et aides sociales au niveau de l’inflation. Il a toujours défendu ces prises de positions par respect des « valeurs traditionnelles » du toryism.
Habilement relayées sur les réseaux sociaux, ces sorties alimentent un Moggmentum, en écho direct au Momentum créé par les proches de Jeremy Corbyn, le leader du Labour issu de son aile gauche. Pour ses partisans, le membre du parlement pour North East Somerset et son discours « réactionnaire », selon les propos de l’actuel éditorialiste du quotidien de droite The Times, sont les conditions pour un retour en force des conservateurs.
Dans une période politique confuse et marqué par la résurgence d’un nationalisme proprement anglais, pour rétrogades que puissent paraître ses convictions opposées à l’intervention de l’état dans bon nombre de secteurs, apparaissent donc comme une boussole. Celui qui est brocardé comme le honorable representant of the 18th Century (un membre du parlement est présenté comme l’honorable représentant de la constituency dont il est élu) est loin de souffrir de cette caricature.
Pour une partie de la base tory, et singulièrement des jeunes militants, Rees-Mogg permettrait de tourner définitivement la page du « one nation conservatism », ce conservatisme centriste développé par David Cameron. Témoin de cette évolution des membres du parti conservateur, une consultation des lecteurs de ConservativeHome, le site tory indépendant du parti, le place désormais comme favori pour devenir leader avec 23% de soutien.
Jacob Rees-Mogg se défend d’ambitions de si haut niveau. Rappelant qu’il est « père de famille », il a déclaré :
« Il y a plus de chances que je devienne pape que premier ministre ».
Cela ne l’empêche pas de consulter tous azimuts. Il a ainsi reçu Steve Bannon, héros de la droite radicale américaine et stratège de la campagne présidentielle de Donald Trump. Dans cette cohérence, il a défendu une alliance avec le parti europhobe UKIP. Celui qui défend que « être né britannique est le plus grand privilège qui soit au monde » se voit régulièrement accusé d’accointances avec l’extrême-droite. Il a participé à au moins un dîner avec le Traditional Britain Group. Nul ne pourra dire qu’il ne savait pas à quoi s’en tenir avec le nouveau phénomène de la droite britannique.