Brexit : le référendum expose les divisions de la Grande-Bretagne au grand jour
Le référendum sur le maintien ou non de la Grande-Bretagne dans l’Union européenne devait rassembler les conservateurs. Finalement, la décision de David Cameron, le premier ministre britannique, a exposé au grand jour leurs divisions au point de rendre quasiment irréconciliables les le camp du maintien et le camp du Brexit. Mais la campagne référendaire met aussi en lumière les profondes divisions qui traversent le pays tout entier. Récemment, une vague de sondages a pu permettre de mesurer combien les Britanniques se déchirent sur la question. Les derniers donnent le Brexit vainqueur mais posent des questions de fond sur l’état de la société britannique.
En premier lieu, et c’est un point souvent mis en avant par les partisans du maintien, les jeunes sont plus favorables à l’Union européenne que les retraités. Ainsi, selon un sondage en date des 30 et 31 mai réalisé sur un échantillon de 1,735 personnes par YouGov pour The Times, 78 % des 18-24 ans choisissent le maintien dans l’Union quand 68% des plus de 65 ans optent pour le retrait. Le hic reste que bon nombre de jeunes ne s’intéressent pas à ce référendum et que certains n’en connaissent même pas la date.
Autre fracture, sociale cette fois, selon la classe. Un sondage réalisé par l’institut ICM les 29 et 30 mai témoignent que les catégories les plus favorisées tendent à voter pour le maintien dans l’Union quand les travailleurs manuels et les allocataires des aides sociales penchent vers la sortie. C’est même la catégorie des salariés qualifiés qui plébiscite le Brexit avec 68% des intentions de vote. Comme pour les études d’opinion relatives à l’âge, le sondage d’ICM s’inscrit dans une continuité par rapport aux précédentes enquêtes.
Il n’y a là aucune surprise à avoir. Cette catégorie sociale, cette « classe sociale » pour reprendre la terminologie britannique, a connu ces dernières années une nouvelle vague de suppressions de postes de travail et de destruction d’emploi. Dernièrement, l’Union européenne a semblé incapable de préserver la sidérurgie britannique de la crise générée par le dumping pratiqué par les Chinois. Il est vrai que c’est le gouvernement de David Cameron qui s’est opposé à un relèvement des tarifs douaniers sur l’acier chinois. Mais l’information n’a guère été relayée outre-Manche…
Le partage des intentions de vote en fonction de l’appartenance de classe est complété par un positionnement en fonction du niveau d’études. Les Britanniques qui ont un niveau équivalent au brevet des collèges ou inférieur sont 68% à choisir le Brexit alors que les détenteurs d’un diplôme universitaire sont 78% à choisir le maintien. Ces chiffres sont à prendre avec des pincettes dans la mesure où le sondage le plus fiable sur le sujet a été réalisé du 23 février au 3 mars 2016 par YouGov.
L’analyse comparée de l’appartenance sociale et du niveau d’études fait apparaître que les Britanniques les plus fragiles économiquement et socialement ne se sentent pas protégés par l’Union européenne. On peut comprendre pourquoi les tenants du Brexit agitent les chiffres de l’immigration avec autant d’ardeur, faisant un lien entre chômage et immigration… Cette tendance explique aussi pourquoi, a contrario, le parti travailliste et les syndicats mettent en avant les acquis sociaux liés à l’appartenance de la Grande-Bretagne à l’Europe.
Enfin, la Grande-Bretagne est également divisée géographiquement sur la question européenne. Les observateurs font des gorges chaudes de l’europhilie apparente de l’Ecosse, prenant appui sur les déclarations de Nicola Sturgeon, première ministre écossaise. La dirigeante du Scottish national party (SNP au pouvoir en Ecosse) a annoncé qu’elle initierait un second référendum sur l’indépendance si le Royaume-Uni venait à quitter l’Europe. Pour autant, les intentions de vote en faveur du Brexit sont assez élevées (plus de 40%) dans les anciennes zones industrielles, qui sont aussi les plus peuplées, de l’Ecosse…
Si les bookmakers placent le vote en faveur du maintien en tête au Pays-de-Galles, les observations de la London School of Economics, sur la base de données collectées par YouGov, laissent apparaître une situation plus contrastée. Là encore, les bastions industriels – pourtant acquises à un Labour europhile – penchent vers le Brexit. Et l’analyse des réseaux sociaux laisse même penser que le vote « sortiste » pourrait être majoritaire au Pays-de-Galles. Ce qui alimenterait le thème de la coupure entre les travaillistes et leur électorat.
Enfin, en Angleterre, le paysage est extrêmement contrasté. Les zones qui concentrent le plus de retraités et celles où le salaire moyen est le plus bas, comme la côte, les zones rurales ou les régions désindustrialisées comme les West-Midlands ou une partie du Yorkshire (ancien bassin minier et sidérurgique) semblent opter pour la sortie. A contrario, Londres, ville jeune, prospère et universitaire, penche très majoritairement en faveur du maintien.
Il faut également ajouter à cette approche économique et sociale une autre donnée. Ces dernières années ont été marquées par le renouveau du nationalisme anglais. Témoignant d’une crise d’identité de l’ancien cœur du Royaume-Uni, il nourrit la montée du parti europhobe UKIP et alimente le repli d’une partie importante du parti conservateur. Quel que soit le résultat du référendum du 23 juin, réconcilier les différentes parties de la Grande-Bretagne entre elles sera le chantier auquel les responsables politiques devront s’atteler en priorité.
Nathanaël Uhl
Bonus vidéo : The Strokes – Hard To Explain
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