Extension de l’aéroport d’Heathrow : Theresa May rentre dans sa première zone de turbulences
C’est un aéroport qui ramène Theresa May sur terre. La première ministre conservatrice avait réalisé, depuis son entrée au 10 Downing Street, un quasi sans faute. La conférence annuelle du parti conservateur l’a vue en leader incontestée de son camp et les plus modérés du United Kingdom Indepance Party (UKIP, parti europhobe) commençaient à envisager publiquement leur ralliement à la championne du conservatisme 3.0. Et puis… Se croyant intouchable, elle a annoncé que la troisième piste de l’aéroport d’Heathrow serait bien construite. Theresa May va payer cher cette première erreur politique, une erreur due à une assurance qui confine à la suffisance.
Après 20 ans de controverses, études et reports, le gouvernement britannique a donc fini par prendre une décision concernant l’extension de l’aéroport londonien d’Heathrow. Alors qu’une majorité des Londoniens y sont opposés, son positionnement en faveur d’une troisième piste a été officialisé mardi 25 octobre. Dans une période d’incertitude liée à la sortie de l’Union européenne, les enjeux économiques ont pris le pas sur les considérations écologiques et politiques. Ainsi, le secrétaire aux Transports, Chris Grayling a justifié la position gouvernementale : « Cette extension est vitale pour que nous restions ouverts au monde. Les retombées économiques s’élèveront à 31 milliards de livres et créeront plus de 77,000 emplois locaux ».
Theresa May, de son côté, a affirmé : « Cette décision démontre, alors que nous quittons l’Union européenne, que nous pouvons faire du Brexit un succès et que la Grande-Bretagne peut être ce pays ouvert, global et marqué par le succès que nous voulons tous qu’elle soit. »
Il y a fort à parier que les associations de défense de l’environnement ne s’en tiendront pas aux bonnes paroles de Chris Grayling. Les recours devant les tribunaux devraient se multiplier rapidement. D’autant que la troisième piste à Heathrow ne devrait pas annuler la création d’une nouvelle à l’aéroport de Gatwick. L’opposition a demandé des garanties, notamment sur le respect des engagements britanniques et européens en matière de lutte contre les dérèglements climatiques.
Mais c’est au sein de la famille conservatrice que la bronca est la plus violente. Le membre du parlement pour Richmond Park et ancien candidat conservateur à la mairie de Londres, Zac Goldsmith a annoncé son intention de démissionner de son siège. Les échos font état de la possibilité qu’il se présente en tant que candidat indépendant lors de l’élection partielle qu’il aurait ainsi provoquée. L’opposition à la troisième piste à Heathrow serait ainsi placée du débat politique à Londres.
L’ancien maire de Londres et membre du cabinet, Boris Johnson, a qualifié la décision soutenue par Theresa May « indéfendable ». Cette déclaration met en lumière le premier grand schisme au sein du gouvernement. Elle illustre aussi la manière dont gouverne Theresa May. C’est un groupe de ministres, dont les opposants à l’extension d’Heathrow étaient tenus à l’écart, qui a pris position en s’appuyant sur les préconisations d’un organisme aussi indépendant que controversé : la commission des aéroports. Les fuites se sont ensuite multipliées jusqu’à ce que le secrétaire d’Etat aux transports puis Theresa May, elle-même, viennent les confirmer. Boris Johnson a donc été tenu à l’écart de toute prise de décision sur ce sujet alors que son portefeuille, les Affaires étrangères, en fait le numéro deux du gouvernement…
Plus délicat, peut être, pour Theresa May est la position des militants conservateurs londoniens. Nombre d’entre eux sont vent debout depuis l’annonce de la troisième piste à Heathrow. Ainsi, le conseil de Windsor and Maidenhead – dont la représentante au parlement a pour nom Theresa May – a laissé entendre qu’il pourrait déposer un recours contre le choix du gouvernement. « La campagne que nous avons lancée contre l’extension d’Heathrow avec les conseils de Hillingdon et Richmond and Wandsworth ainsi que Greenpeace va continuer, a annoncé le leader du conseil de Windsor and Maidenhead, le conservateur Simon Dudley. Au nom du million de citoyens que nous représentons, nous mènerons toutes les actions nécessaires pour stopper cette décision. »
Une consultation publique sur l’impact de la troisième piste va être désormais menée. D’un coût de 17,6 milliard de livres, elle devrait permettre 748,000 vols par an. Le vote de la chambre des Communes aura lieu à la fin de l’année 2017. Boris Johnson a laissé entendre qu’il serait fort possible que le gouvernement soit battu sur ce sujet voire qu’il abandonne sa position d’ici là. Theresa May a peut être un peu présumé de sa puissance. En sus de la crise qu’elle vient d’ouvrir chez les Tories, elle a réussi à fédérer contre elle, et pour la première fois, des écolos jusqu’aux travaillistes en passant par les lib-dems.
Nathanaël Uhl