Brexit : la justice renvoie Theresa May à la case parlement
Elle aurait dû s’y attendre. Au regard de la place du parlement dans la vie politique britannique, le jugement rendu par la haute cour est tout sauf une surprise. Après un délibéré de trois jours, les trois juges ont statué : le gouvernement ne peut pas activer l’article 50 qui lance les négociations en vue de la sortie de l’Union européenne sans un vote de la chambre des Communes. Theresa May, la première ministre, avait annoncé qu’elle ne solliciterait pas l’avis des membres du parlement. Dès l’annonce du verdict de la Haute cour, ce 3 novembre 2016, le gouvernement a annoncé qu’il fera appel devant la Cour suprême. A présent, une nouvelle crise politique attend les Tories autant que les travaillistes.
La première ministre avait invoqué la « prérogative royale » pour s’affranchir du vote de la chambre des Communes, où les tenants du Brexit sont minoritaires. Elle avait donc mis en scène sa volonté de respecter le suffrage du peuple. Mais Theresa May ne pouvait pas ignorer, alors que le 800e anniversaire de la Magna Carta a été célébré en 2015, que sa décision ne tiendrait pas devant une cour de justice. La place du parlement est centrale dans la vie politique britannique. Les Anglais ont même décapité leur roi, Charles Ier, 150 ans avant que les Français ne fassent de même, pour asseoir la prééminence de leur parlement.
La Haute cour a donc rappelé la loi. Présentant son verdict Lord Thomas, le Lord Chief Justice, a bien précisé :
« C’est une simple question juridique. La cour n’est pas concernée et n’exprime aucun point de vue sur les mérites qu’il y a à quitter l’Union européenne, ce qui relève de la politique. La cour accepte donc les arguments de principes des plaignants. Le gouvernement n’a, en la matière, aucun pouvoir de prérogative. »
La nature de ce jugement était d’autant plus prévisible que certains conservateurs se sont engagés en faveur du Brexit pour réaffirmer la place du parlement dans la décision politique, place minorée par la hiérarchie des normes que génère l’adhésion au Traité fondateur de l’Union européenne.
Theresa May aura beau jeu de se présenter comme la première défenseure de la volonté populaire, puisque les Britanniques ont voté à 52% en faveur de la sortie de l’Union européenne. Ce sont ses opposants qui vont se retrouver en porte-à-faux. Alors que plus des deux tiers des membres du parlement sont opposés au Brexit, ils se retrouvent en rupture avec leurs propres électeurs. C’est particulièrement vrai pour les parlementaires travaillistes du nord de l’Angleterre, par exemple. Les plus europhiles d’entre eux sont, pour beaucoup, issus de l’aile droite du Labour et élus dans les bastions ouvriers entre Sheffield, Manchester et Liverpool. Autant d’endroits où le Brexit a obtenu plus des deux tiers des suffrages…
Ce hiatus ne devrait pas empêcher, pourtant, une nouvelle crise interne au parti travailliste. Dès l’annonce des résultats du référendum, le leader élu, Jeremy Corbyn, avait en effet appelé le gouvernement à activer l’article 50, provoquant l’ire de ses parlementaires. A l’énoncé du verdict, Corbyn, qui est connu pour ses critiques vis-à-vis à des conceptions libérales en vogue au sein de l’Union européenne, a appelé le gouvernement à ne pas faire appel de la décision. Il s’est exprimé de manière modérée :
« Ce jugement souligne la nécessité, pour le gouvernement, de présenter sans délais au parlement les termes selon lesquels il entend négocier la sortie de l’Union. Le parti travailliste respecte la décision du peuple britannique de quitter l’Union européenne. Mais la transparence dans les conditions de sortie et le fait que le parlement puisse jouer son rôle sont primordiaux. »
Une prise de position qui risque de ne pas satisfaire aux orientations europhiles majoritaires au sein du parliamentary labour party. Une partie de ce dernier pourrait même rejoindre les membres du parlement Lib-Dems, pour lesquels le vote populaire n’est pas contraignant.
Dans cette nouvelle tempête qui s’apprête à déferler sur un Royaume-Uni déjà bien fragilisé, seul le parti europhobe UKIP semble se réjouir. Nigel Farage, leader démissionnaire du parti qui en assure la direction à titre transitoire, s’est pourléché les babines en agitant le spectre d’une rupture entre l’establishment et le peuple :
« J’ai peur que la trahison ne se rapproche. Lors des Spectator Parliamentary Awards, j’ai eu la sensation que la classe politique n’accepte toujours pas le vote du 23 juin dernier. Je crains que tout ne soit fait à présent pour repousser voire bloquer l’activation de l’article 50. S’ils font cela, ils n’ont aucune idée de la colère qu’ils vont provoquer. »
Theresa May va devoir faire preuve de leadership pour éviter que le divorce entre les Britanniques et leur représentation parlementaire n’éclate au grand jour. Elle dispose d’une majorité absolue mais étroite à la chambre des Communes. La moindre fronde peut la faire tomber. Et la première ministre ne peut guère compter sur les ténors conservateurs du Brexit. Le plus connu d’entre eux, le secrétaire d’Etat aux affaires étrangères Boris Johnson, a encore dérapé sur le sujet. Lors d’une conférence qu’il donnait mercredi 2 novembre, il a promis de faire du Brexit « un succès titanic ».
Nathanaël Uhl