Décryptage : quels enjeux pour une union douanière « à la Turque » pour le Royaume-Uni ?
La perspective de la mise en œuvre d’une union douanière entre le Royaume-Uni et l’Union européenne semble se dessiner. La législation du commerce extérieur britannique en discussion à la Chambre des Communes stipule que Londres pourra toujours, à l’avenir, intégrer une union douanière existante. Il se trouve, et ce n’est peut-être pas une pure coïncidence en ces temps de négociation sur le Brexit, que l’Union européenne a conclu une union douanière avec Andorre, San Marino, la principauté de Monaco et la Turquie. Dans le cadre d’une Union douanière, les Etats associés adoptent une politique commerciale extérieure commune. Pour autant, on ne peut parler de marché unique (voire commun) entre les parties au Traité.
Du point de vue de la relation encore à définir entre Londres et l’UE, on se bornera à constater qu’un marché commun consiste en une union douanière enrichie de dispositions permettant la libre circulation des personnes et des capitaux. La libre circulation des marchandises fait, par contre, partie intégrante de l’Union douanière.
Le fait que la partie britannique prenne appui sur l’accord existant avec Turquie pour déterminer les contours de la future Union douanière avec l’UE s’avère riche d’enseignements. Tout d’abord, comme le note la Commission européenne, « l’accord d’association d’Ankara de 1963 prévoyait la réalisation d’une union douanière entre la CE et la Turquie dans sa phase définitive. Cette phase définitive est entrée en vigueur le 1er juillet 1996. Toutefois, cette union douanière, fondée sur le principe de la libre circulation des marchandises, est limitée aux produits autres que les produits agricoles, selon la définition de l’annexe I du traité d’Amsterdam, et ne recouvre pas non plus les produits du charbon et de l’acier ».
Une union sans juridiction
Un tel accord ouvrirait donc la porte à un accord de libre-échange valable pour certains produits. Cette hypothèse était rappelée dans la presse économique britannique pas plus tard qu’au début de l’année. Le très sérieux Financial Times estime que des clauses de libre-échange sélectives garantissant un libre accès au marché britannique pour les puissants constructeurs automobiles allemands sont à l’ordre du jour du côté de la diplomatie britannique .
De surcroît, l’accord d’Union douanière avec la Turquie n’a jamais déterminé de juridiction commune aux deux parties susceptibles de trancher des éventuels litiges. Cet état de choses, que Bruxelles déplore, « permet à la Turquie de recourir à des pratiques contraires à l’esprit de l’Union Douanière (mise en place de tarifs douaniers sur des biens couverts par l’UD, etc.) sans encourager la progression de l’alignement de la législation turque sur l’acquis communautaire, notamment en ce qui concerne les aides d’État ». On notera très factuellement qu’une telle formule d’Union douanière laisse d’importantes marges de manœuvre à Londres pour procéder à des aides d’Etat en direction de pan entiers de son industrie – dont l’acier – alors que ce type d’opérations est aujourd’hui interdite par les dispositions en la matière prévalant en droit communautaire européen.
En l’état actuel des choses, une formule d’Union douanière à la turque exclut donc la juridiction de la Cour européenne de Justice. Cette formule s’avère moins intégratrice que le modèle d’association existant avec la Norvège. Cette dernière est membre de l’Association européenne de Libre-Echange (AELE). Or, il se trouve qu’être membre de l’AELE implique la reconnaissance de la Cour de justice de l’Association européenne de libre-échange, organe judiciaire transnational sis à Luxembourg tout comme la Cour de justice de l’Union européenne.
On s’interrogera sur la pertinence de ce modèle d’Union douanière, excluant la liberté de circulation des capitaux, puisse convenir à une économie britannique centrée sur les services financiers. Il est, en effet, indispensable pour les banques britanniques de disposer du passeport financier européen pour être actives sur le continent sur les segments « de la collecte de dépôts, du trading de dérivés, de l’émission de crédits et d’obligations, de la gestion de portefeuilles, des services de paiement » ainsi que des agences de notation . L’éventualité de la perte du passeport européen constitue un souci de taille pour l’économie britannique.
L’enjeu du secteur des services financiers
Certes, un système d’équivalence pourrait permettre aux banques britanniques de continuer à opérer sur le continent sans devoir délocaliser une partie de ses activités à Francfort, Paris ou Luxembourg. Pour bénéficier de ces équivalences, il faut cependant que la City reste assujettie aux mêmes dispositions régulatrices que le secteur financier européen. Ce point ne devrait pas poser trop de problèmes puisque les dispositions réglementaires du secteur bancaire sont convenues au sein du Comité de Bâle sous l’égide de la Banque des règlements internationaux (BRI) dont les actionnaires (la BRI est, en effet, une société anonyme) sont exclusivement les banques centrales depuis le 8 janvier 2001. Il se trouve évidemment que la banque d’Angleterre est membre de la BRI qui constitue un organe de coordination important en matière de réglementation financière et qui aura beaucoup œuvré en faveur de la libéralisation de cette dernière au cours des dernières décennies.
En revanche, le système des équivalences constitue un privilège qui peut être retiré à tout moment par la Commission européenne. De surcroît, les équivalences excluent de leur champ la collecte de dépôts et les prêts transfrontaliers. Le récent déménagement d’une partie de HSBC, dont le siège social se situe à Londres, vers Paris témoigne de ce que la perspective de délocalisations d’une partie des activités financières de la City constitue déjà un fait acquis. Un millier d’emplois seraient concernés. Après tout, les autres banques qui devraient emboîter le pas à HSBC continueront à rapatrier leurs bénéfices vers leur siège social et à alimenter les actionnaires du Royaume-Uni. Cependant, ce mouvement devra conduire à une révision à la baisse du PIB britannique. Par exemple, la délocalisation d’une partie des activités de HSBC correspond, bon an mal an, à un transfert de valeur vers le continent européen « d’environ 20% de son revenu de trading ».
Dans l’optique de Londres, l’ouverture aux productions industrielles continentales, dans le texte de l’accord d’Union douanière, pourrait alors servir de contrepartie à un accord visant à pérenniser l’accès au marché européen pour les banques britanniques. Une option que jusqu’ici Michel Barnier, le négociateur du Brexit pour la partie européenne, a cependant toujours exclue…
Xavier Dupret
Economiste, Fondation Joseph-Jacquemotte (Belgique)