Brexit : au Labour, Jeremy Corbyn se voit pressé de sortir de l’ambiguïté
L’EUROPE RAPPELLE LE LABOUR A SES VIEUX DEMONS. Depuis le résultat du référendum de juin 2016, la ligne du parti travailliste consiste à défendre « un Brexit en faveur de l’emploi ». La stratégie de Jeremy Corbyn, son leader, demeure de ne froisser ni les électeurs qui ont choisi de quitter l’Union européenne ni ceux qui veulent y rester. Alors que les négociations entre le gouvernement et Bruxelles sont elles aussi dans le flou, la base travailliste fait entendre sa voix en faveur d’une clarification. Les appels se font plus pressants en faveur d’un maintien dans l’union douanière et le marché unique. La réunion du National Policy Forum (NPF – organe chargé de définir la ligne politique du Labour) qui devait évoquer le sujet samedi 17 février à Leeds a été agitée.
La réunion du NPF était attendue après que les proches de Corbyn ont renforcé leur majorité au sein de la direction du parti travailliste. Un atelier d’une heure devait être consacré à un premier débat sur la question du Brexit et, notamment, de la position à adopter sur l’épineux débat du maintien – ou non – dans l’union douanière et le marché unique. Le sujet devient de plus en plus sensible parmi les travaillistes : la semaine passée, pas moins de 17,000 d’entre eux ont envoyé des courriers électroniques demandant à avoir leur mot à dire sur ce qui apparaît comme l’enjeu crucial du moment.
Ce dossier impacte grandement le Royaume-Uni sur deux sujets, au moins. Au-delà des enjeux économiques. Il va décider de la liberté de mouvements entre l’Europe et la Grande-Bretagne, pour les marchandises certes mais aussi pour les personnes. Derrière ces principes se cache la réalité pour les ressortissants européens vivant au Royaume-Uni mais aussi celle des Britanniques vivant sur le continent. Plus épineux encore, la sortie ou le maintien dans l’union douanière et le marché unique auront des répercussions très concrètes sur la nature de la frontière entre la République d’Irlande et l’Ulster.
De tout cela, le NPF devait débattre samedi et dimanche dernier, alors que sur les huit groupes de travail qu’il a mis en place aucun ne porte sur le Brexit. Las, l’élection d’un président pour cette instance, rendue nécessaire par la démission d’Ann Cryer, a tout bouleversé. La candidate soutenue par Momentum, la « garde rouge » corbynite, semblait devoir perdre face à Ann Black, une vétéran travailliste. Arguant de la nécessité d’un délai de sept jours pour pouvoir élire un président au sein du NPF, le National Executive Committee a purement et simplement annulé le scrutin qui devait avoir lieu samedi à 11 heures.
La réunion du Parliamentary Labour party (PLP – le groupe parlementaire travailliste) prévue ce lundi 19 février en soirée devrait être passablement agitée. Elle sera précédée d’une rencontre du groupe de travail consacré au Brexit au sein du Shadow Cabinet. Corbyn ne devrait plus pouvoir contourner longtemps l’obstacle que représente, pour lui, le de prendre une position claire sur le marché unique.
Peu enthousiaste quant à l’Union européenne dans sa configuration actuelle, le leader du Labour a envoyé plusieurs messages en direction de Bruxelles. Il s’agissait, pour lui, de modifier l’orientation de l’union douanière et du marché unique, dans une optique moins libérale au sens économique du terme. C’est peu de dire que ces signes n’ont pas été pris en compte, à l’instant, par les négociateurs de l’Union européenne.
Considérée comme une alliée de Jeremy Corbyn, la shadow Secretary aux Affaires étrangères, a laissé entendre, dimanche, une évolution de la position du Labour. Emily Thornberry, dont la voix compte désormais au sein du shadow cabinet, a ainsi déclaré :
« On ne peut pas se projeter, quand on parle de l’Irlande du Nord ou du libre-échange au travers de l’Europe sans que (le Royaume-Uni soit) dans une forme d’union douanière. Elle pourrait être assez proche de celle à laquelle nous appartenons aujourd’hui. »
Keir Starmer, shadow secretary en charge du Brexit, a fait savoir depuis longtemps qu’il est sur une position similaire à celle défendue par son homologue des Affaires étrangères. Et les europhiles du parti travailliste ont joué de manière subtile. Sous l’impulsion de Chuka Ummuna, nouvel espoir de cette sensibilité, ils multiplient les interventions pour que le Labour se positionne en faveur du maintien dans le marché unique. Le membre du parlement pour Streatham affirme qu’il ne s’oppose pas au leader, dont il n’est certes pas proche, mais bien au hard Brexit. Il a réussi à inviter l’égérie de la gauche européenne, Yanis Varoufakis, à s’exprimer en faveur de sa position devant les parlementaires du Labour.
Par ailleurs, les europhiles travaillistes ont pris Corbyn au mot, lui qui prône une plus grande place aux militants dans la définition de la ligne politique. Ils ont donc orchestré la campagne de courriers électroniques pour que la base du Labour se prononce sur le Brexit. Contrairement aux électeurs (même si les choses bougent), les militants travaillistes ont plutôt favorables au maintien dans l’union douanière.
L’attitude des tories sur le dossier pourrait aussi faire converger les lignes au sein du Labour. Alors que les tenants d’une ligne dure sur le Brexit marquent des points, le gouvernement semble devoir finir par présenter un projet de rupture avec l’Union européenne. Il ne sera pas compliqué pour les travaillistes de s’y opposer, au nom de la défense des emplois.