Labour : entre accusations de « purge stalinienne » et de laisser faire sur l’antisémitisme, Corbyn pris entre deux feux
A CINQ SEMAINES DES ELECTIONS LOCALES, LE LABOUR S’OFFRE UNE CRISE OUVERTE. Et, cette fois, Jeremy Corbyn ne pourra pas en blâmer ses opposants. Le leader du parti travailliste a ouvert lui même les hostilités en limogeant, vendredi 23 mars, le shadow secretary à l’Irlande du Nord, Owen Smith. ll reproche à son ancien rival pour le leadership 2016 d’avoir demandé un deuxième référendum sur le Brexit. Cette sanction a exacerbé les tensions latentes depuis que Corbyn a refusé de condamner la Russie dans la tentative d’assassinat de Sergeï Skripal. Enfin, le leader est une nouvelle fois accusé de fermer les yeux sur l’antisémitisme.
Vendredi dernier, Luciana Berger, membre travailliste du parlement et présidente du Jewish Labour (l’organisation juive du Labour), a saisi le bureau du leader à propos d’un commentaire publié sur facebook en 2012. A l’époque, le street artist Mear One s’est plaint sur le réseau social qu’une de ses fresques peinte à Londres allait être effacée. Jeremy Corbyn s’est ému, à l’époque, commentant la décision : « Vous allez être en bonne compagnie. Rockefeller a fait détruire une fresque de Diego Rivera parce qu’elle incluait Lénine« . Le souci demeure que la fresque de Mear One représente des capitalistes et des financiers jouant à une sorte de monopoly posé sur les épaules de pauvres. L’image utilise les codes graphiques des caricatures antisémites même si l’artiste s’en défend.
Face à la montée de colère, Corbyn a fait publier une réponse dans laquelle il exprime des « regrets sincères » :
« En 2012, j’ai émis un commentaire général sur l’effacement de l’art mural, sur la base de la liberté d’expression. Je pensais à la destruction de la fresque « l’homme à la croisée des chemins » de Diego Rivera sur les murs du Rockefeller center à New York. Ce n’est en rien comparable à la peinture mentionnée dans le post facebook. Je regrette sincèrement de ne pas avoir porté assez d’attention à l’image que je commentais dont le contenu est très préoccupant et clairement antisémite. J’en soutiens l’effacement.«
Tardive, la réponse, jugée « totalement déplacée » par Yvette Cooper, un poids lourds de la droite travailliste, n’a pas permis d’apaiser les esprits. Bien au contraire. Depuis son arrivée à la tête du Labour, Jeremy Corbyn fait face à l’accusation persistante de tolérance vis à vis de l’antisémitisme, « au mieux par naïveté au pire par ignorance« , selon les propos du chef de la rubrique politique du tabloid de centre-gauche The Mirror. Depuis son élection comme leader, Corbyn a installé une commission d’enquête sur les actes anti-juifs au sein du Labour. Présidée par Shami Chakrabarti, elle a enquêté sur plusieurs faits et a exclu plusieurs activistes.
Les deux principales affaires traitées par la commission ont impliqué la membre du parlement Naz Shah et l’ancien maire de Londres, considéré comme un allié de longue date de Corbyn, Ken Livingston. Si Naz Shah a été réinstallée comme membre à part entière du Labour, après des excuses circonstanciées, Ken Livingston a vu sa suspension prolongée de douze mois dans l’attente des conclusions d’une nouvelle enquête.
Les propos de Corbyn sur la fresque de Mear One et ses excuses n’ont pas rassuré la communauté juive. Deux de ses instances, le Board of Deputies et le Jewish leadership council, ont rendu public un courrier dans lequel elles estiment que le leader travailliste ne fait rien pour prendre le problème de l’antisémitisme à bras le corps :
« (Jeremy Corbyn) produit des déclarations creuses contre l’antisémitisme mais il ne fait pour le comprendre ou s’y attaquer. Nous en concluons qu’il ne peut sérieusement le prendre en compte car il est trop profondément ancré dans une vision du monde d’extrême-gauche qui est par instinct hostile à la communauté juive ordinaire. »
Les deux instances communautaires appellent à un rassemblement ce lundi 26 mars devant Westminster, juste avant la réunion hebdomadaire du Parliamentary Labour Party (PLP – le groupe parlementaire travailliste). La réponse des partisans du leader travailliste ne s’est pas faite attendre. Le groupe Jewish Voice for Labour (JVL – un groupe juif de gauche plutôt anti sioniste) a porté le fer par la voix de sa porte-parole Naomi Wimbourne-Idrissi. Elle a dénoncé une « hystérie autour de l’antisémitisme » qui, selon elle, « n’aide pas à développer des vraies actions contre l’antisémitisme ainsi que les autres formes de racisme« .
Qualifiant les personnes critiques à l’encontre de Corbyn de « tories », elle a estimé que « le timing de cette attaque politique ne pouvait pas être une coïncidence ».
La réunion du PLP devrait être particulièrement tendue. La direction des élus travaillistes a convoqué, de manière formelle, Corbyn pour qu’il s’explique sur l’antisémitisme mais aussi sur son attitude quant à la Russie et, enfin, sur la mise à l’écart d’Owen Smith. Le leader ne devrait pas se présenter devant ses homologues élus.
Il est reproché au parlementaire gallois d’avoir formellement soutenu la demande d’un second référendum sur le Brexit, en opposition avec la ligne officielle du parti travailliste. La position d’Owen Smith est, pourtant, loin d’être isolée. Diane Abbott, shadow secretary à l’Intérieur et proche alliée de Jeremy Corbyn, a également soutenu une deuxième consultation dans des courriers envoyés à ses électeurs. La mise à l’écart d’Owen Smith est donc présentée comme une « purge stalinienne » qui viserait les travaillistes les plus europhiles.
Depuis la motion de défiance adoptée en juin 2016, c’est la crise la plus grave à laquelle le leader du Labour doit faire face. A 5 semaines d’élections locales présentées comme imperdables, elle apparaît comme une balle que les travaillistes se tirent dans le pied. Conscient du risque, Jeremy Corbyn a laissé entendre qu’il souhaite, dans les meilleurs délais, rencontrer les responsables de la communauté juive britannique.
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