Nicola Sturgeon, la princesse de fer de l’Ecosse
« La femme la plus dangereuse du Royaume-Uni », selon les conservateurs, est écossaise et ne siège pas à Westminster. Nicola Sturgeon a préféré, sans l’once d’une hésitation, diriger le gouvernement semi-autonome de l’Ecosse. Mais c’est bien elle la patronne, qui assume, outre la fonction de Première ministre écossaise, la présidence du puissant Scottish national party (SNP). C’est, pour beaucoup, à son charisme et à sa poigne que le parti nationaliste écossais doit son écrasante victoire lors des dernières élections générales. Il a en effet remporté 56 des 59 circonscriptions écossaises, éradiquant le Labour de ce qui fut son bastion pendant des décennies. Si elle est la femme « la plus dangereuse » du royaume, elle est surtout la plus populaire.
Fille d’un électricien et d’une assistante dentaire, Nicola Sturgeon avait pourtant le profil d’une future cadre travailliste. Elle caractérise son choix en faveur du SNP comme une forme de « rébellion » face à ce déterminisme politico-social qui veut que les enfants de la classe ouvrière adhèrent au Labour. En 1987, à 16 ans, elle prend sa carte au SNP. Une autre révolte anime la jeune fille : « Thatcher constitue la raison première de mon engagement politique, se rappellera, plus tard, Nicola Sturgeon. J’ai détesté tout ce qu’elle défendait. C’est la genèse de mon nationalisme. J’ai détesté le fait qu’elle puisse faire tout ce qu’elle a fait. Et encore, je ne connaissais personne qui ait voté pour elle. » Aujourd’hui encore, Nicola Sturgeon est – malgré tout – une des opposantes les plus cohérentes à la politique du premier ministre conservateur David Cameron.
A l’université de Glasgow, où elle poursuit des études de droit, elle s’active au sein de la Fédération des étudiants nationalistes (FSN), à travers l’Association nationaliste écossaise de l’Université de Glasgow (GUSNA). Rapidement, la jeune femme travailleuse, méthodique, franchit les premiers échelons. Elle devient coordinatrice adjointe pour la jeunesse mais aussi pour la propagande. Ce qui lui permet d’intégrer le comité exécutif du SNP.
Apparatchik rude
A 22 ans, elle se présente aux élections générales britanniques dans la circonscription de Glasgow Shettleston, ce qui fait d’elle la plus jeune candidate. Elle échoue à se faire élire. Il lui faut attendre 1999 pour rentrer au parlement régional écossais : battue sur son nom, elle est repêchée par le scrutin de liste en vigueur à l’époque. Les scrutins suivants la voient mener la liste dans la région de Glasgow. En parallèle, elle poursuit son ascension au sein de l’appareil du SNP, avec les fonctions successives de porte-parole pour la santé et l’éducation puis pour la justice. Cet itinéraire balise le parcours d’une apparatchik rude, dont la franchise et le côté cassant complètent autant qu’ils magnifient la rondeur et la bonhommie de l’homme fort du SNP, avec lequel elle forme un ticket en 2004 : Alex Salmond.
Ensemble, ils prennent le parti. Salmond en devient le président et siège à Westminster ; Sturgeon assume la vice-présidence et dirige le groupe à Holyrood, le siège du parlement régional écossais. Nicola, avec son sérieux et son ton acerbe, qui lui valent le surnom passablement sexiste de « Nippy Sweetie », que l’on pourrait traduire par « chérie piquante », devient la principale opposante au premier ministre écossais, le travailliste Jack McConnell. Le 3 mai 2007, les nationalistes remportent, avec 47 sièges contre 46 au Labour, les élections au Parlement écossais. Treize jours plus tard, Nicola Sturgeon est nommée vice-Première ministre et ministre de la Santé et du Bien-être dans le gouvernement que dirige Alex Salmond. Elle succédera à son allié et protecteur après la victoire du « non » au référendum sur l’indépendance de l’Ecosse en 2014.
Faiseuse de roi
C’est alors qu’elle annonce, avec l’aplomb qui la caractérise, que cette défaite « annonce des victoires à venir ». Elles arriveront moins d’un an après, avec la déferlante jaune sur l’Ecosse. Pendant la campagne pour les élections générales, Nicola Sturgeon est apparue comme la faiseuse de roi. S’il était évident que le leader du groupe parlementaire à Westminster serait Alex Salmond, c’est elle qui a dirigé toutes les négociations, notamment avec le Labour. Et c’est bien à Glasgow que David Cameron, frais réélu, s’est rendu le 15 mai pour y rencontrer la Première ministre. Elle peut aujourd’hui réclamer l’allègement de la dette grecque face au FMI, à la Banque centrale européenne et à l’Union.
Nicola Sturgeon maîtrise tous ses sujets et le premier d’entre eux, sa popularité. Elle a d’abord procédé à un changement de look des plus étudiés. Désormais, ses tenues sont scrutées à la loupe par les magazines féminins. Contrairement à son prédécesseur, elle ne vit pas dans la résidence officielle des premiers ministres d’Ecosse, à Bute, mais dans une maison moderne de la banlieue est de Glasgow qu’elle a achetée en 2006, avec celui qu’elle épousera quatre ans plus tard. Le prix de l’achat est connu : 228.000 livres. Elle fréquente assidument la cantine du parlement local. « Ces petits gestes comptent, témoigne le député Green au parlement écossais Patrick Harvie. Nicola ne se voit pas au-dessus du peuple. »
Au contraire, elle est dans le peuple. Poignées de mains, bises, hi fives… Elle est parfaite dans sa relation aux Ecossais. Confirmant que si Alex Salmond est bien celui qui a réussi à amener le SNP à 45 %, c’est Nicola Sturgeon qui lui fera franchir le cap déterminant. Elle a su mettre du charme dans l’apparence froide et rugueuse qui prévalait jusque dans les années 2000. Sturgeon n’a, en la matière, peur de rien. Ou, plutôt, tout lui réussit là où d’autres seraient effondrés. Elle explique tranquillement pourquoi elle n’a pas d’enfants, sujet pourtant délicat comme la travailliste Liz Kendall a pu s’en rendre compte dernièrement. Un tableau peint par une Française, Naughty Nicola, la dépeint en dominatrice sexy ? C’est le couple Sturgeon qui se porte acquéreur de l’œuvre, laquelle orne désormais les murs de la maison. C’est son mari qui fait le ménage et cuisine ? Elle confirme adorer ses steacks avec pommes frites, ses spaghetti bolognaise et son curry. Elle ne cache pas plus que c’est encore son époux qui fait le ménage.
Machine de guerre électorale
Et pas qu’à la maison. Peter Murrell, monsieur Nicola Sturgeon, est le patron de l’appareil SNP. C’est en grande partie à lui que Nicola doit de disposer d’une machine de guerre électorale. Elle apporte la popularité et le sens de la stratégie. La dame de fer d’Holyrood vit politique 24/7, comme il se dit outre-Manche. Ses deux précédents compagnons étaient des cadres du parti nationaliste et les meilleurs amis du couple Sturgeon aujourd’hui sont la secrétaire d’Etat à la santé écossaise, Shona Robison, et son deputy leader SNP de mari, le MP Stewart Hosie.
Ensemble, avec l’aval de Salmond évidemment, ils ont imprimé l’évolution du vieux SNP vers la gauche, jusqu’à faire de ce parti le seul à être à la fois en situation de pouvoir et crédible dans sa lutte contre l’austérité. Qu’importe si cela s’accompagne de délégations de services publics avec grève des salariés à l’appui. Les adhérents du SNP expliquent doctement qu’il n’y a pas là privatisation. Qu’importe que l’un de ses plus généraux donateurs soit Sir Brian Souter, le magnat de Stagecoach, qui a financé par ailleurs une campagne bien peu progressiste contre les droits des homosexuels. Nicola Sturgeon confirme qu’elle a le cuir dur et que les attaques de ses opposants roulent sur elle comme des gouttes de pluie sur un imperméable barbour.
Le souci réside peut être dans le fait que, mis à part des généralités sur un positionnement raisonnablement social-démocrate, il n’y a rien sur le fond politique. Les seules aspérités relève du domaine privé et Nicola Sturgeon s’en sert de manière admirable. De là à penser qu’elle les crée elle même…
Nathanaël Uhl
——————————–
Bonus vidéo : Our Lady Peace – Made Of Steel