Labour : Corbyn parle au pays autant qu’au parti
Dans deux jours, le 12 août à midi, la campagne électorale pour le leadership du Labour party, mais aussi celle pour le deputy leadership, prendra fin. Dans la moiteur de ce début d’août, la presse française s’en est, enfin, fait l’écho. Le moins que l’on puisse dire c’est que le pari du candidat de la gauche travailliste, Jeremy Corbyn, MP pour Islington-North, est tenu : il y a eu un débat. Les lignes de fracture qui traversent le parti travailliste, l’un des plus puissants partis de gauche européens, sinon le plus puissant après le parti social-démocrate allemand, ont été mises à jour. S’il y a donc au moins trois blocs identifiables à l’issue de cette campagne, l’événement marquant de ces deux mois a été la vitalité de la candidature Corbyn et l’écho qu’elle a rencontré au sein du Labour et même au-delà.
Mais prenons un instant pour fixer les vrais enjeux de cette double campagne. Le leader du parti, dans la tradition britannique, est appelé à devenir le premier ministre en cas de victoire de son camp aux élections générales. Dans la période intermédiaire, il est de facto chef de l’opposition et son principal porte-parole tant à la chambre des communes que dans les médias. Il dirige le shadow cabinet, ou cabinet fantôme, sorte de contre-gouvernement dont la mission est de critiquer les axes de la politique gouvernementale et de porter des propositions alternatives. Quant au deputy leader, sa mission est plutôt de s’occuper du parti en tant qu’organisation.
Le bloc blairiste, incarné par la candidature de Liz Kendal, a contribué à animer fortement le débat en prônant une politique d’austérité, proche de celle des Tories au pouvoir. La patronne du think tank Progress a été la seule candidate à soutenir ouvertement la leader par intérim du parti dans son souhait de ne pas s’opposer aux mesures conservatrices de réductions budgétaires frappant notamment les crédits d’impôt destinés à soutenir la politique familiale ou les aides sociales. Il faut reconnaître à Liz Kendal du courage et une vraie cohérence politique, dans la lignée de Tony Blair. Sa quatrième place, dans les sondages comme en matière de soutiens dans les Constituency Labour parties (les organisations de base du parti travailliste) ne doit pas amener à croire que le blairisme est en voie de disparition. Dans une autre campagne, celle qui doit désigner le candidat travailliste à la mairie de Londres, c’est en effet une blairiste de choc, Tessa Jowell, qui apparaît mener la danse.
Le centre du parti travailliste est, une nouvelle fois, divisé. Andy Burnham incarne les espoirs de ceux qui souhaitent la continuité de l’ère Miliband. Un appareil fort, le soutien des syndicats réformistes, une politique pragmatique… tels sont les principaux axes développés par le shadow secretary à la santé. Des thèmes proches de ceux d’Yvette Cooper, qui se pose en héritière de Gordon Brown, le dernier premier ministre travailliste en date. Dans ce bloc centriste, c’est plus une guerre de personnes qu’un affrontement d’idées qui se joue. La réconciliation de ce camp sera difficile à réaliser. Yvette Cooper a d’ailleurs annoncé la couleur : si elle devait être élue, elle célèbrerait sa victoire au son d’Abba « The Winner takes it all » (le vainqueur remporte tout)…
« I don’t do personals »
Face à cette guerre fratricide, Jeremy Corbyn a réussi à tenir sa ligne « I don’t do personals » (« je ne fais rien de personnel »). Il a été le seul à dépasser le cadre étroit du hustings (la campagne officielle, avec ses débats télévisés dont nous avons rendu compte). Le vétéran travailliste, malgré ses 66 ans, a multiplié les rencontres et débats avec les adhérents du parti. Après le soutien de Unite, le plus important syndicat du pays, il a réussi à obtenir celui de Unisson. Les responsables syndicaux ont tenu à préciser que l’agenda politique de Jeremy Corbyn : refus de l’austérité, développement d’une politique philo-keynésienne de relance, soutien à la propriété publique des infrastructures (notamment le rail)… était en convergence avec leur propre cahier revendicatif. Cela fait bien longtemps qu’un responsable travailliste n’a pas été aussi en phase avec les principales organisations syndicales du Royaume-Uni. Mais, comme nous l’avons déjà souligné, c’est l’écho que rencontre la candidature Corbyn au sein du parti travailliste qui a surpris tout un chacun.
Des quatre candidats au leadership du Labour, il a été le seul à faire une campagne publique, à l’ancienne. Comme s’il dirigeait la campagne pour les élections générales. Ainsi, ce lundi 10 août, à Londres, il développera sa vision politique en direction de la jeunesse, en présence du polémiste de gauche Owen Jones. La veille, dimanche 9 août, il a pris la parole à Leeds, devant une assistance de 2.000 personnes. Le MP socialiste a pris la parole à Bradford, York, Norwich, Londres… Chaque fois, la salle est comble. A Londres, le 2 août dernier, Corbyn décide de reprendre le discours qu’il a donné dans la salle depuis le toit d’un camion de pompiers devant plus de 500 personnes…
Sur son blog, il reprend point par point les clés d’un programme qui a tout d’une plateforme politique en vue d’élections générales. Il envoie, ce faisant, des appels marqués aux électeurs qui ont rejoint les Greens ou le Scottish national party en raison du manque de lisibilité des positions travaillistes lors des deux précédents scrutins.
Cette stratégie a deux objectifs. Le premier est vraiment d’alimenter le débat interne au parti sur les enjeux auxquels il doit se frotter après la plus lourde défaite qu’il ait connu depuis 1983. Cet échec historique, face à Margaret Thatcher et alors que le Labour présentait un manifeste extrêmement à gauche, marque encore les esprits. C’est ce spectre qu’agitent les blairistes pour repousser la perspective Corbyn. Le second est de contourner l’obstacle que constitue l’énormité des moyens dont disposent ses trois challengers. Encore que, même à ce jeu-là, Corbyn crée la surprise. Sa levée de fonds militante, pas plus de 1.500 livres de dons par personne, a explosé l’objectif initial : de 50.000 livres souhaitées, elle a dépassé le stade symbolique des 100.000 livres. Alors que Corbyn se déplace essentiellement en train et en vélo, cela dégage de quoi faire vivre une campagne dynamique.
Au final, avec sa stratégie de campagne à l’ancienne, complétée par une redoutable task force sur les réseaux sociaux, le MP d’Islington-North souhaite surtout anéantir le dernier argument de ses adversaires : s’il était élu à la tête du Labour, le parti serait incapable de gagner. A tout le moins, Corbyn sait animer une vraie campagne électorale et, rien que cela, c’est neuf pour le parti travailliste.
Nathanaël Uhl
A suivre : retrouvez, dès vendredi 14 août, le premier portrait des candidats au leadership du Labour.
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Bonus vidéo : Billy Bragg – The Red Flag
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